Angèle Ferrere, un regard sur les femmes photographes

Lauréate de la bourse Louis Roederer pour la photographie 2020, Angèle Ferrere vient de finir sa thèse de doctorat en esthétique de la photographie. Après une thèse sur la photographie de chantier contemporaine, elle a poursuivi en 2020-2021 l’exploration de ce thème au département des Estampes et de la photographie de la BnF, à travers l’œuvre de quatre femmes photographes, Rosine Nusimovici, Cécilia Otero, Deidi von Schaewen et Catherine Wagner.

 

Chroniques : Votre projet de recherche porte sur les travaux de photographes méconnues qui ont en commun d’avoir exploré l’espace urbain dans les années 1970 et 1980. Comment les avez-vous découvertes ?

Angèle Ferrere : Pendant ma thèse, je me suis rendu compte que j’avais du mal à intégrer dans mon corpus des travaux de femmes. L’histoire de la photographie, telle qu’elle s’est écrite jusqu’à une date récente, contient peu de noms de femmes – alors qu’elles sont très nombreuses à y avoir contribué, y compris dans la photographie de chantier ! À l’issue de ma thèse, j’ai voulu œuvrer à une revalorisation des travaux des femmes photographes qui ont travaillé sur et dans l’espace urbain. Il existe très peu de publications sur elles. J’ai trouvé leur trace dans de rares articles ou catalogues d’expositions, ou encore grâce aux conservatrices qui m’ont orientée dans les fonds : c’est Dominique Versavel, cheffe du service de la Photographie, qui m’a par exemple indiqué le travail de Cécilia Otero.

Angèle Ferrere - Chercheuse associée - © Laurent Julliand / Agence Contextes / BnF

En quoi consiste votre travail au sein du département des Estampes et de la photographie ?

Ma tâche consiste d’abord à documenter, décrire et valoriser les travaux de ces quatre photographes qui sont conservés dans les collections du département. J’écris actuellement un article sur Deidi von Schaewen, une photographe allemande qui vit et travaille en France. La seconde partie de mon activité, qui vient évidemment nourrir la première, est tout aussi passionnante  : il s’agit de contribuer à une cartographie de la présence des femmes photographes dans les collections du département, pour la période qui court de 1968 à 1996. Ces trois décennies correspondent au moment où Jean-Claude Lemagny fait entrer dans les collections les œuvres de ses contemporains. On estime que le nombre de femmes photographes ayant intégré les fonds de la BnF durant cette période pouvait atteindre jusqu’à un tiers des acquisitions annuelles. Une matinée par semaine, j’accompagne Dominique Versavel dans les magasins et on ouvre les boîtes !

Et qu’avez-vous trouvé dans ces boîtes ?

Je suis par exemple tombée sur une très belle série d’Armelle Le Bras sur la démolition des Halles, ou encore sur les photographies de Carole Barriquand qui a consacré sa carrière aux transformations des villes. Mais cette exploration des fonds permet aussi de porter un nouveau regard sur la place des femmes dans l’histoire de la photographie, en particulier pour les photographes françaises, largement représentées dans les collections de la BnF. Cette démarche s’inscrit dans une tendance actuelle de la recherche et de l’édition. Pendant longtemps, les travaux acquis et valorisés par les institutions étaient ceux qui correspondaient à l’idée d’un «  regard féminin  », souvent cantonné à l’espace domestique et privé, portant sur des sujets qui relèvent de la sphère intime. Certes, ces travaux existent, et ils sont importants, mais les femmes ont aussi photographié quantité d’autres choses : les fonds de la BnF le montrent ! En ouvrant ces boîtes, on voit que les femmes photographes se sont intéressées à l’espace urbain, mais aussi à l’espace rural, comme Marie Breton avec ses séries dans le Béarn et le Cantal au cours des années 1970, aux populations défavorisées ou marginales, comme Laurence Brun qui pointe son objectif sur les quartiers populaires de Londres ou sur les femmes afghanes, ou encore Françoise Blondel qui a photographié les enfants d’immigrés à Pantin. Autant de noms et d’œuvres qui gagnent à être connus…

Propos recueillis par Mélanie Leroy-Terquem

Entretien paru dans Chroniques n° 91, avril-juillet 2021