Au chevet du rouleau de Padiimenipet

Présenté dans l’exposition L’aventure Champollion. Dans le secret des hiéroglyphes, le papyrus égyptien connu sous le titre de Livre des Respirations de Padiimenipet, conservé au département des Manuscrits de la Bibliothèque, a fait l’objet d’une restauration minutieuse. Chroniques a accompagné Vanessa Desclaux, co-commissaire de l’exposition, dans l’atelier où travaille la restauratrice Ève Menei.

 

Vanessa Desclaux et Ève Menei penchées sur le rouleau de Padiimenipet, en cours de restauration © Thierry Ardouin / Tendance Floue / BnF


En cette froide matinée de décembre, posé sur la table d’un atelier proche du cimetière du Père-Lachaise à Paris, il focalise tous les regards. Le Livre des Respirations de Padiimenipet, papyrus égyptien datant du début du IIe siècle après Jésus-Christ, est au centre d’une discussion engagée par la restauratrice Ève Menei, qui s’interroge sur la nature de l’outil employé par le scribe pour écrire les inscriptions. Penchée sur le papyrus, Vanessa Desclaux, conservatrice chargée de la collection des manuscrits d’Égypte antique à la BnF, souligne la régularité et l’élégance de la graphie, en indiquant çà et là les quelques signes représentant un soleil, un siège ou un cobra.

Un papyrus trouvé sur la momie de Padiimenipet

Le papyrus du Livre des Respirations de Padiimenipet, 116 après J.-C. © Thierry Ardouin / Tendance Floue / BnF

Ce Livre des Respirations, proche des plus connus Livres des Morts, détaille les formules qui, selon les croyances répandues dans l’Antiquité égyptienne, garantissaient l’accès du défunt à l’au-delà. Aujourd’hui conservé au département des Manuscrits de la BnF sous la cote Égyptien 152, il provient de la sépulture de Padiimenipet, fils de Sôter, grand notable thébain, mort le 2 juin 116 à l’âge de 21 ans. Les différents éléments de cette sépulture, découverte sur le site de Gourna en Égypte, ont été rapportés au début des années 1820 par le voyageur Frédéric Cailliaud ; il avait alors confié la traduction du papyrus à Jean-François Champollion qui la publia en 1827.

« Le cercueil et la momie qu’il contenait ont d’abord été déposés au cabinet des Antiques de la Bibliothèque, raconte Vanessa Desclaux, avant de rejoindre les collections du musée du Louvre en 1907, tandis que les papyrus furent transférés entre 1856 et 1860 au cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque, ancêtre de l’actuel département des Manuscrits. »

Une collection en danger

En 2018, à l’occasion d’une demande de prêt pour l’exposition Servir les dieux d’Égypte au musée de Grenoble, des dépôts blanchâtres sont constatés sur les papyrus qui s’apprêtent à être exposés. Un diagnostic de la collection est alors entrepris. Le verdict est sans appel : une partie des documents, dont le Livre des Respirations de Padiimenipet, est en danger. Les dégradations constatées sont notamment dues au conditionnement adopté durant le XIXe siècle. Mis à plat, les rouleaux de papyrus ont été collés sur des cartons avant d’être mis sous verre et encadrés, ce qui a permis leur bonne conservation en général, mais dans le cas de papyrus contenant des inscriptions au recto et au verso, des fenêtres en verre ont été aménagées dans le carton pour en permettre la lecture. C’est notamment le cas du papyrus Égyptien 152. « Or les bords du morceau de verre ont entraîné des déchirures. Par ailleurs, la tension entre la rigidité du carton et la souplesse du papyrus peut parfois aussi causer une désolidarisation entre les deux couches de papyrus qui forment les feuillets inscrits », montre Ève Menei en désignant des soulèvements à différents endroits.

Ève Menei et le rouleau de Padiimenipet, en cours de restauration © Thierry Ardouin / Tendance Floue / BnF

 

Un « cas extrême » dans la restauration de papyrus

Livre des Respirations de Padiimenipet, papyrus daté de l’an 116 après J.-C., avant restauration © BnF

La restauratrice n’en est pas à son coup d’essai : égyptologue de formation, Ève Menei est l’une des rares spécialistes au monde de la restauration de papyrus. Quand le musée du Louvre fait en 2019 l’acquisition des fameux « papyrus Reverseaux », c’est à elle que la sauvegarde en est confiée. Avec le Livre des Respirations de Padiimenipet, l’experte est confrontée à ce qu’elle appelle un « cas extrême » qui oblige à décoller le papyrus du fond en carton. Le plus gros du travail consiste à enlever le carton au scalpel, copeau par copeau, pour arriver à la fibre de papyrus. Après cette longue entreprise d’amincissement, elle peut passer à la remise à plat : il s’agit d’humidifier le papyrus entre deux membranes de goretex® – un textile qui laisse passer l’eau sous forme de vapeur et non de gouttes.Le papyrus humide se relaxe, ce qui permet de poser en travers des déchirures de petites consolidations en papier japonais. Ève Menei attend ensuite que le papyrus sèche, mis sous presse : « Il faut y aller en douceur, avec parfois deux ou trois remises à plat successives. » Après son passage entre les mains de la restauratrice, le papyrus Égyptien 152 va rejoindre pour quelques mois le couvercle du cercueil de Padiimenipet dans l’exposition L’aventure Champollion. Dans le secret des hiéroglyphes, où les deux objets seront réunis pour la première fois depuis bien longtemps.

 

Mélanie Leroy-Terquem

Entretien paru dans Chroniques n° 94, avril-juillet 2022