Au cœur de l’épopée gaullienne

En remettant en 1956 les manuscrits du premier tome de ses Mémoires de guerre à la Bibliothèque nationale, le général de Gaulle jeta lui-même les jalons d’un fonds littéraire destiné à recevoir la masse des feuillets sur lesquels il avait fixé sa propre légende. Près de 70 ans plus tard et grâce au soutien de plusieurs grands mécènes, un ensemble important de documents acquis par préemption vient compléter ce fonds.


Si la mort empêcha « le Premier des Français » d’achever ses Mémoires d’espoir, sa veuve puis son fils, l’amiral Philippe de Gaulle, poursuivirent son dessein et permirent par les dons qu’ils firent à la BN de réunir en son département des Manuscrits l’intégralité de son œuvre de mémorialiste, une importante série de manuscrits de ses discours de la période 1940-1946 pour la plupart édités de son vivant, et plusieurs brouillons de ses écrits théoriques et historiques sur l’armée française remontant à l’entre-deux-guerres. Si riches qu’elles fussent, ces archives n’étaient pas complètes : nombre de manuscrits du Général étaient restés entre les mains de son fils et ont ressurgi, après le décès de celui-ci en mars 2024, à la faveur de la vente publique « De Gaulle, une succession pour l’Histoire », tenue à la maison Artcurial le 16 décembre dernier.

Le général de Gaulle dans son bureau à l’hôtel Rubens à Londres - Photo D.R. / BnF, Estampes et photographies

Une acquisition soutenue par des grands mécènes

À cette occasion, la Bibliothèque nationale de France a pu acquérir, grâce au soutien décisif de grands mécènes – la famille Decaux avec JCDecaux Holding, la Maison CHANEL, BNP Paribas, le Groupe CMA CGM, la Fondation TotalEnergies et le Groupe Dassault via sa dotation Dassault Histoire & Patrimoine – auxquels va toute sa gratitude, un ensemble substantiel de papiers de l’homme du 18-Juin. Parmi les quelque 370 lots mis aux enchères, 29 ont rejoint les collections de la BnF, tandis qu’une centaine d’autres ont été préemptés au bénéfice des Archives nationales, du Service historique de la défense, de la maison natale de Charles de Gaulle à Lille, du musée de l’Armée, des Archives diplomatiques et du musée de l’Ordre de la Libération. La mobilisation des institutions publiques aura été à la hauteur de l’importance de la figure du général de Gaulle dans l’histoire contemporaine et la mémoire collective françaises.

Des documents à forte charge symbolique

Parmi les documents remarquables qui ont rejoint le département des Manuscrits se distingue, entre autres, un ensemble de brouillons du premier tome des Mémoires de guerre. Ceux-ci recèlent notamment ce qui a pu constituer la version initiale du début de l’œuvre en lieu et place du célèbre incipit « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France », ainsi que des passages où de Gaulle évoque, par exemple, son appel lancé le 18 juin 1940 depuis la radio de Londres. On trouve également le manuscrit complet de La Discorde chez l’ennemi, premier ouvrage publié par Charles de Gaulle en 1924, qui analyse les causes de l’effondrement de l’Empire allemand à la fin de la Grande Guerre, plusieurs cahiers de réflexions personnelles et de citations tirées de grands auteurs qui donnent à voir sur plus de 50 ans ses sources d’inspiration littéraire, historique et philosophique, ainsi que le petit carnet qu’il tenait dans sa poche en 1940, au cours de la Débâcle, puis dans les premiers temps de son installation à Londres. Dans cette pièce inédite remplie de notes prises dans le feu de l’action, depuis un pays au bord du gouffre, la tension de l’officier qui désobéit et prend « en mains les destinées de la France » est palpable. Cette relique de la geste gaullienne sera présentée au public au sein du musée de la BnF du 19 septembre 2025 au 11 janvier 2026. Ce sont donc des documents à forte charge symbolique qui sont entrés à la suite de cette vente dans les collections de la Bibliothèque. Complémentaires des archives déjà conservées dans le fonds Charles de Gaulle, ils permettront d’en améliorer l’identification et le classement, tout en apportant aux historiens de nouveaux éclairages sur la formation de la pensée et la fabrique des œuvres du général de Gaulle.

Voir aussi Les manuscrits du général de Gaulle (NAF 28590)

Maximilien Girard

Article paru dans Chroniques n° 103, avril-juillet 2025