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De nouveaux manuscrits de Samuel Beckett, donnés à la BnF par Irène Lindon, sont entrés dans les collections du département des Arts du spectacle. Ils y rejoignent plusieurs fonds qui éclairent la genèse de l’œuvre du poète et dramaturge irlandais.

En 2018, la Bibliothèque nationale de France présentait une exposition intitulée Les Combats de Minuit qui montrait à travers une centaine d’ouvrages et de manuscrits la place tenue par Jérôme Lindon dans l’histoire de l’édition française du XXe siècle. L’événement avait été rendu possible par la générosité d’Annette Lindon et de ses enfants qui avaient fait don à la Bibliothèque d’un ensemble de 900 ouvrages ainsi que du manuscrit autographe d’En attendant Godot de Samuel Beckett. En 2021, Irène Lindon a souhaité prolonger ce beau geste en offrant un ensemble de manuscrits autographes et d’éditions originales de Beckett.

Samuel Beckett, 1977. BnF, département des Arts du spectacle - Photo de Roger Pic

Un témoignage du lien entre Samuel Beckett et Jérôme Lindon

Les documents récemment entrés dans les collections de la BnF témoignent du rôle fondamental que Jérôme Lindon a joué dans la publication des œuvres de l’écrivain et de leur indéfectible amitié, dont les envois sur les livres et les manuscrits sont des traces fidèles et tangibles. Ce sont en effet les éditions de Minuit qui publient, en 1951, le premier texte de Beckett en France, Molloy, puis l’ensemble de ses textes en français – récit, théâtre et poésie.

Des sources précieuses pour l’étude des textes

Ce nouvel ensemble réunit les manuscrits de six œuvres des débuts de sa carrière jusqu’à son dernier poème. Ils sont des sources irremplaçables pour étudier la génétique des textes, comme la version de travail de Pochade radiophonique, abondamment raturée et corrigée, dont les personnages mêmes ne sont pas encore les caractères définitifs, ou encore le dossier de Sans dont l’élaboration complexe est passée par le tirage au sort de phrases numérotées. Entre le hasard et le calcul, on reconnaît le goût de Beckett pour les mathématiques et les échecs. Les quatre cahiers et les feuillets dactylographiés de Pour finir encore offrent eux aussi une magnifique matière pour analyser les étapes successives d’élaboration du texte. Le dossier pour la pièce de théâtre Quoi où est du même ordre : outre les nombreux repentirs et ajouts, on y trouve de petits schémas qui indiquent la disposition des comédiens sur la scène. Sont joints également un manuscrit pour Soubresauts ainsi qu’une version autographe du dernier texte de Beckett, un poème intitulé Comment dire, daté du 1er octobre 1988. On y retrouve l’écriture serrée de l’auteur, parfois si difficile à déchiffrer, marquée alors d’un faible tremblement dû à l’âge. Les éditions originales numérotées – exemplaire n°3 dédicacé au couple Lindon – sont elles aussi précieuses, notamment celle d’En attendant Godot qui complète le manuscrit et comporte les dernières corrections pour l’établissement de la version définitive du texte.

La majeure partie des manuscrits de Samuel Beckett est conservée à l’université de Reading au Royaume-Uni. En France, c’est le département des Arts du spectacle de la BnF qui détient le plus bel ensemble de documents, non seulement grâce au fonds des éditions de Minuit, mais aussi grâce aux archives des metteurs en scène qui ont monté ses pièces et l’ont côtoyé comme Roger Blin, Pierre Chabert ou Deryk Mendel, ou encore grâce au fonds de Roger Pic qui a notamment photographié En attendant Godot à la création au théâtre de Babylone en 1953.

Joël Huthwohl

Article paru dans Chroniques n° 96, janvier- mars 2023