Boulez, tout pour la musique

La BnF consacre une exposition à Pierre Boulez (1925 ‒ 2016), personnalité phare du XXe siècle musical. Issues d’un fonds d’archives et de partitions annotées de sa main donné par la succession en 2017, les pièces présentées témoignent du parcours du compositeur, chef d’orchestre et bâtisseur d’institutions musicales majeures. Rencontre avec la commissaire de l’exposition.

 
Chroniques : « J’ai horreur du souvenir ! » Pourquoi ce titre ?

Agnès Simon-Reecht : Boulez cite cette phrase du Soulier de satin de Paul Claudel dans un texte écrit en hommage posthume au chef Roger Désormière, pour lequel il avait une grande admiration. Elle souligne une contradiction : l’exposition met en valeur les traces laissées par un homme qui se défiait de la fétichisation du souvenir. Au-delà de ce paradoxe, elle évoque la relation du compositeur aux œuvres du passé et sa réflexion originale sur la mémoire et la création, qui met dos à dos traditionnalistes et partisans de la table-rase.

Comment les archives de Pierre Boulez sont-elles entrées à la BnF ?

Boulez avait donné ses manuscrits de son vivant à la fondation suisse Paul Sacher. À sa mort, la succession a fait don à la BnF d’un important fonds d’archives (correspondance, photographies, archives institutionnelles), de partitions annotées, sa bibliothèque, et jusqu’aux instruments de musique reçus en cadeau ou collectés lors de ses tournées internationales, qui sont autant de nouvelles sources pour la recherche.

Répons, musique de Pierre Boulez. Festival d’Avignon - 1988 - © Daniel Cande
Les partitions annotées présentées dans l’exposition témoignent de sa direction d’orchestre, très personnelle…

En matière de direction d’orchestre, Pierre Boulez était un autodidacte, qui a commencé en dirigeant une quinzaine de musiciens pour la compagnie Renaud-Barrault au théâtre de Marigny, où il a créé en 1954 le Domaine musical – des concerts aux programmes novateurs.

Il a véritablement inventé une gestuelle qui lui est propre, à main nue et sans baguette. Sa pensée de la direction d’orchestre s’est construite à travers la création d’œuvres contemporaines. Cette direction a évolué au cours de sa vie, depuis Le Sacre du printemps de Stravinsky en 1963 qu’il conduisait avec une battue rigide, jusqu’aux symphonies de Mahler qu’il a dirigées plus tard d’une façon beaucoup plus souple et plus ample.

Boulez s’était également beaucoup impliqué dans les grands chantiers culturels de son temps, et en particulier dans la création d’institutions…

Pierre Boulez était très critique vis-à- vis des institutions françaises et la nécessité de les réformer a fait l’objet d’interventions virulentes, jusqu’au point de rupture en 1966, avec son fameux article « Pourquoi je dis non à Malraux » (Le Nouvel Observateur). Il a répondu pourtant en 1970 à l’appel de Georges Pompidou qui l’a convaincu de créer l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique / musique) lors de la mise en place du Centre Pompidou. Il s’est alors engagé pour les grands projets culturels de l’époque, l’Opéra Bastille d’abord, puis la Cité de la Musique et la Philharmonie de Paris. Claude Pompidou, avec qui il avait une relation très forte, l’a notamment soutenu en mobilisant ses réseaux. Leur correspondance, entamée en 1974 et qui s’est poursuivie jusqu’à la disparition de l’ex-Première dame en 2007, est d’ailleurs conservée à la BnF.

L’exposition qui lui est consacrée aujourd’hui révèle donc une personnalité dont l’engagement envers la musique est total, dans une vision qui englobe tous les aspects de cet art.

Propos recueillis par Sylvie Lisiecki

Entretien paru dans Chroniques n° 94, avril-juillet 2022