Compte rendu du congrès satellite de l'IFLA tenu à Uppsala les 17 et 18 août 2010

dans Actualités de la conservation, n° 29, 2011
Mots-clés dans l’index : recherche
Philippe Vallas, Membre du comité exécutif Section Préservation & Conservation
 

Organisé conjointement par les sections Préservation & conservation et Livres rares et manuscrits de l’IFLA, dans les très beaux bâtiments néoclassiques de l’ancienne et prestigieuse université d’Uppsala, les journées d’études avaient pour titre: De nouvelles technologies pour les documents anciens; les méthodes d’investigation scientifique au service de la conservation et de l’histoire du livre. Devant une assistance d’environ 60 personnes, très internationale et composée d’autant de chercheurs que de bibliothécaires ou d’archivistes, les interventions, regroupées par thèmes, ont été pour la plupart d’une haute tenue scientifique et technique.

 

Les analyses ADN (1re session)

Au cours de la 1re session consacrée aux analyses ADN, M. Allen, généticienne à l’Université d’Uppsala, rappelle les principes de cette technique et son usage désormais fréquent dans les enquêtes criminelles; mais son usage s’étend maintenant à la protection d’objets de valeur: un spray spécial a été mis au point, projetant un produit comportant une signature ADN unique; invisible, mais durablement indélébile, il sert déjà à marquer les billets de banque et pourrait peut-être servir également pour les objets patrimoniaux.

Son collègue A. Götherström montre comment on peut utiliser aussi les tests ADN pour connaître l’origine géographique des matériaux, par exemple les cuirs ou parchemins des reliures. La méthode est certes destructrice mais la taille des échantillons nécessaire se restreint (1 cm² ou 10 mg), les délais d’obtention des résultats deviennent très rapides, et des bases de données sont en constitution pour faciliter les comparaisons.

C. Balsamo (biologiste, Université de Florence) rappelle les modes de dégradation de l’ADN et les problèmes de contamination humaine des échantillons engendrée par des manipulations sans précautions. Mais les progrès technologiques permettent à présent de retrouver l’origine de documents très dégradés (cas d’un manuscrit ayant séjourné des siècles au fond de la mer).

La conservation du papier (2e session)

La 2e session, consacrée à la conservation du papier, permet d’abord à J. Palm, directeur de la préservation aux Archives nationales de Suède, de décrire les objectifs et les résultats du projet européen SURVENIR (2005-2008), très voisin du programme Papertreat: au moyen d’analyses en spectrographie infrarouge, on a pu élaborer une base de données très complète sur plus de 1500 échantillons de papier de tous types entrant dans la composition des documents d’archives et de bibliothèques. Cette base a pu être alimentée bien plus rapidement et à bien moindre coût que par les méthodes traditionnelles d’analyse. Les Archives nationales de Suède vont acquérir un exemplaire de la machine mise au point à cette occasion, et elles s’en serviront pour évaluer leurs collections en papier acide dans la perspective de choix stratégiques à opérer dans les prochaines années (numérisation avec copie COM, conservation à basse température…).

J. Drewes (Library of Congress, département de la conservation) trace ensuite un tableau rapide des recherches en cours dans les trois laboratoires de son établissement: analyses hyperspectrales permettant de distinguer les repentirs et les étapes dans l’élaboration des documents; fluorescence rayons X pour identifier et «cartographier» les pigments; nombreux travaux sur la dégradation des supports audiovisuels (sticky shed, syndrome de dégradation des bandes magnétiques) et l’évaluation de leur indice de conservation; reconstitution et sauvegarde du contenu sonore des disques vinyle cassés après recollage des morceaux (machine RENE); les projets en cours concernent en particulier la problématique du papier recyclé: son influence sur la durabilité des documents et donc des collections des bibliothèques; étude des recommandations à faire respecter pour obtenir un papier de conservation contenant de la pâte recyclée. A noter enfin le local spécifique (CLASS) où les laboratoires conservent systématiquement, dans de bonnes conditions environnementales, tous les échantillons utilisés pour leurs expériences.

L’analyse des pigments (3e session)

Au cours de la 3e session, consacrée à l’analyse des pigments, C. Rönnerstam et A. Nilsson (Musée National, Stockholm) décrivent leurs recherches pour identifier les pigments utilisés dans une nomenclature de couleurs incluse dans un traité écrit par un célèbre peintre suédois de miniatures du XVIIe siècle. L’utilisation de l’infrarouge proche en spectrophotométrie permet de travailler sans contact direct avec les pigments des échantillons; pour plus de sécurité, trois exemplaires du même ouvrage conservés dans des endroits différents ont été utilisés.

L. Helldahl (soc. K-Analys) rappelle les principes et les avantages de la spectroscopie Raman pour les analyses de fibres ou autres pigments, notamment lorsqu’elle est combinée à la spectroscopie infrarouge.

Les méthodes de datation (4e session)

- La 4e session traitait des méthodes de datation. H. Lindersson (Université de Lund) relate l’expérience de datation réalisée sur la reliure du prestigieux missel de Skara au moyen d’une expertise dendrochronologique des ais de ses deux reliures successives ; l’opération s’est révélée possible dans un cas sur deux. Basée sur les cercles de croissance du bois, cette technique indique la date la plus ancienne possible d’utilisation, mais il faut tenir compte du temps de séchage nécessaire après l’abattage de l’arbre, qui ne peut être qu’estimé ; elle peut permettre aussi d’indiquer une aire géographique d’origine du bois, le rythme de croissance ayant souvent différé selon les régions en fonction des variations climatiques. Mais la technique est invasive (nécessité qu’une séquence assez importante de cercles soit visible), ce qui fait qu’elle est souvent impraticable ou sans résultats probants.

G. Possnert (Université d’Uppsala) décrit ensuite la datation au carbone14, à partir de l’exemple (1998) d’un célèbre manuscrit de l’Italie wisigothique (début du VIe siècle), le Codex argenteus. Pratiquée à partir d’un prélèvement non négligeable dans le cuir du dos, la datation a confirmé, avec quelques décennies d’imprécision, celle effectuée par les paléographes. La taille des prélèvements nécessaires a heureusement beaucoup diminué depuis dix ans.

La lecture des textes : déchiffrement et analyse de l’image (5e session)

La dernière session était consacrée à la lecture des textes: déchiffrement et analyse de l’image.

J’ai exposé l’origine et le déroulement du programme de remise à plat/numérisation des manuscrits médiévaux de la BM de Chartres endommagés depuis le bombardement de 1944, en insistant sur la nécessité d’une bonne conservation des documents originaux pour tout programme de numérisation, ce qui induit souvent des programmes préalables de traitement physique; on peut même se demander si la numérisation ne donnera pas finalement un nouvel essor à la restauration et autres techniques de consolidation des collections traditionnelles.

I. Christie Miller (Earlybook Info, G-B) décrit ensuite l’usage de la lumière noire combinée aux infrarouges pour la détection de filigranes, et même pour la lecture du dos des documents collés en plein.

W. Witek, N. Hesselberg-Wang, C. Palandri (Bibliothèque Nationale de Norvège) détaillent les très nombreuses possibilités d’observation offertes par le comparateur vidéo-spectral acquis par leur établissement. Capable d’éclairer un objet avec tous les types ou fréquences de lumière (UV, IR, oblique, transmise, coaxiale…) en combinaison avec de nombreux filtres et outils dont un poste de prise de vue ergonomique et adaptable, cette machine permet de très nombreux types d’observation: lecture des textes effacés, oblitérés, biffés, repérage des impressions à froid même très peu marquées, des filigranes, distinction des différents types d’encre, de papier, des différents procédés photographiques (à partir de leurs dégradations de surface, même minimes); identification des matériaux à l’origine des taches, mesure et comparaison des polices de caractères! Ce matériel, qui serait très utile aussi aux historiens du livre et autres chercheurs en bibliologie matérielle, est évidemment très coûteux (45000 £).

Les deux derniers intervenants abordent le domaine de la reconnaissance optique de caractères.

G. Borgefors (Université d’Uppsala) en rappelle très clairement les principes, indique l’état actuel de la recherche: en-dehors des écritures manuscrites irrégulières, tout texte sera bientôt océrisable, même les alphabets les plus compliqués pourvu que leur impression soit correcte. Elle rappelle quelques principes de base: toujours conserver soigneusement l’image originale, ne pas essayer d’océriser des images trop compressées. L’élaboration de dictionnaires permet d’améliorer la qualité de l’OCR.

Enfin, C. Neudecker (BR des Pays-Bas) fait un point sur le programme européen IMPACT d’amélioration de l’OCR (2008-2011), dont il est le coordinateur, nuançant l’intervention précédente: de nombreux documents «historiques» posent toujours des problèmes à l’océrisation, parce que mal imprimés, ou sur un papier trop transparent, insuffisamment contrastés, comportant de textes non orthogonalement disposés, des variations lexicales et de polices (alphabets gothiques, notamment), des mises en page trop compliquées, etc. Il détaille les différents procédés sur lesquels travaille le groupe IMPACT pour résoudre ces difficultés: binarisation, prise en compte de la structure de la page, corrections coopératives, constitution de dictionnaires des variantes lexicales, technique du «word spotting» (indexation au mot et non à la lettre). La qualité de l’OCR ne se mesure pas à la lettre, mais au mot.

Conclusion

Au total donc, deux jours denses d’interventions très diverses mais toujours intéressantes, marquées par un certain souci de vulgarisation, qui auront permis aux bibliothécaires et archivistes nombreux dans l’assistance de se faire, sans trop de difficultés, une idée assez complète de l’état actuel et des directions prises par la recherche en matière de conservation et valorisation du patrimoine écrit.