Dans les poubelles des Années folles

La huitième édition du cycle de conférences « De la fouille à l’écriture de l’Histoire » est consacrée à l’archéologie de la France. Elle invite des archéologues à partager leurs recherches en cours, à l’instar d’Alban Horry qui évoquera le 10 mai ses travaux sur un dépotoir des années 1920.

Porcelaines chinoises et japonaises découvertes dans le dépotoir de Vénissieux en 2005. Photo Alban Horry / Inrap


Si l’archéologie de la France est souvent associée à des temps anciens – des sites préhistoriques aux ruines de l’époque gallo-romaine et du Moyen Âge –, elle est aussi une source précieuse pour éclairer un passé beaucoup plus récent. Aux côtés des constructions, des restes humains ou des objets qui les accompagnent, les déchets constituent aussi des vestiges très riches d’enseignements. C’est ce que la conférence d’Alban Horry, ingénieur chargé de recherches à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), viendra illustrer à travers l’exemple d’un dépotoir des années 1927-1930 situé dans la banlieue de Lyon.

Un instantané de la culture matérielle d’une époque

En 2015, à quelques dizaines de mètres à peine du boulevard périphérique, dans l’un des derniers espaces non bâtis de la commune de Vénissieux où doit être aménagée une zone commerciale, les archéologues découvrent, à faible profondeur, des milliers d’objets domestiques, de poteries et de verres, en fragments ou entiers.

Des emballages de médicaments et de cosmétiques (piluliers en faïence, flacons de parfum, contenants de poudre dentifrice) y côtoient des produits alimentaires (pots de moutarde à foison, bouteilles de vin ou d’alcool fort), mais aussi vaisselle, bibelots, bouteilles d’encre, pots de cirage ou de Brillant belge servant à astiquer l’argenterie, bénitiers de chevet et crucifix, poupées en porcelaine ou encore pyrogènes, ces récipients à allumettes munis d’un frottoir utilisés dans les cafés… « Nous avons là un formidable instantané de la culture matérielle de la fin des années 1920, à un moment où la société de consommation prend véritablement son essor », explique Alban Horry.

Aux origines du tri sélectif

Fait remarquable, tous les objets sont en céramique ou en verre, et le dépôt contient également des coquilles d’huîtres : « C’est un exemple de tri sélectif qui correspond aux prescriptions des hygiénistes de la fin du XIXe siècle, poursuit l’archéologue spécialiste de la céramique. Le préfet Poubelle avait prévu ce tri pour la capitale dans son premier arrêté qui organise la collecte des déchets à Paris en 1883. Le maire de Lyon, Édouard Herriot, était lui aussi très sensible à ces questions, et ce que l’on nomme aujourd’hui poubelles aurait très bien pu s’appeler des “herriottes”. »

Si le tri est sélectif, le dépôt des déchets à cet emplacement, qui correspond à l’ancien fossé des fortifications érigées après la guerre de 1870, n’en reste pas moins sauvage. Dès 1927, la commune de Vénissieux s’en plaint et incrimine les Lyonnais qui viennent déverser là leurs détritus – une provenance bien confirmée par la présence, dans l’amoncellement, d’un grand nombre d’assiettes et de bouteilles estampillées de la Brasserie Georges, ou d’autres restaurants ou pâtisseries du centre de Lyon. Le désagrément n’est cependant qu’éphémère : à partir de 1930, les fortifications sont arasées pour permettre la construction du boulevard périphérique et le dépotoir abandonné.

À travers la présentation des résultats de cette fouille étonnante, Alban Horry explore un pan moins établi de l’archéologie de la France et nous plonge dans la société lyonnaise de ces Années folles où la crème Simon, la moutarde Grey-Poupon et l’Elixir gaulois font le quotidien de la population.

Alice Tillier-Chevallier

Article paru dans Chroniques n° 97, avril -juillet 2023