Étienne Klein, résident musée
Le physicien et philosophe des sciences Étienne Klein s’est penché, dans le cadre de sa résidence-musée BnF I Del Duca – Institut de France, sur l’édition originale d’un ouvrage de Blaise Pascal, exposé dans la galerie Mazarin jusqu’au 19 mai 2024. L’occasion de revenir sur une admiration de longue date qui fait l’objet d’un texte publié dans Le Journal du musée.
Entre Étienne Klein et Blaise Pascal, le compagnonnage ne date pas d’hier. Il y a eu d’abord la découverte, en classe de première, des Pensées, lues et commentées par un professeur de lettres ému presque jusqu’aux larmes, dont le trouble ne pouvait laisser indifférent. Il y a eu ensuite la rencontre avec ses écrits scientifiques. « Pascal me fascine par son écriture, la langue magnifique qui est la sienne, et aussi par son immense productivité scientifique, alors même qu’il ne s’est consacré aux sciences que bien peu d’années », explique le physicien passionné d’histoire des sciences. Pour ce grand admirateur de l’« effrayant génie », qui confie avoir toujours l’une de ses œuvres à portée de main, la résidence-musée à la BnF était l’occasion rêvée de remonter à la source. Encore plus en cette année 2023 marquant le 400e anniversaire de la naissance du philosophe et mathématicien.
Le récit d’une expérience cruciale
Les éditions originales de Pascal ne manquaient pas. Le choix d’Étienne Klein s’est finalement arrêté sur le Récit de la grande expérience de l’équilibre des liqueurs, conservé à la bibliothèque de l’Arsenal. « Je connaissais déjà le Traité sur le vide, sur lequel j’avais travaillé pour mon livre Ce qui est sans être tout à fait. J’ai pu lire grâce aux conservateurs de la BnF deux autres textes que Pascal avait écrits sur le sujet, dont ce petit ouvrage d’à peine 30 pages paru en 1648. Il y relate l’expérience cruciale qu’il avait lui-même conçue et qui a coupé l’histoire en deux : il y eut un “avant” et un “après”. Suivant ses directives, Florin Périer, son beau-frère, a monté un tube de Torricelli [baromètre au mercure] au sommet du puy de Dôme et constaté que la hauteur de la colonne de mercure diminuait avec l’altitude, ce qui démontrait que la prétendue horreur de la nature pour le vide pouvait s’expliquer par les seuls effets du poids de l’air, autrement dit par ce qu’on appellera plus tard la “pression atmosphérique”. Il fut ainsi mis fin à la “querelle du vide” qui avait commencé quelques années plus tôt. »
Un parfum de sacré
En découvrant l’ouvrage relié de cuir, Étienne Klein a immédiatement ressenti ce « halo symbolique » attaché à l’œuvre originale qu’évoque Walter Benjamin. Il perçoit la fragilité de l’objet, imagine le travail de l’imprimeur disposant ses lettres de plomb pour composer sa page. « Il y avait aussi comme un parfum de sacré, auquel je ne m’attendais pas. Les gestes du conservateur manipulant le livre étaient presque liturgiques. » Étienne Klein fait tourner les pages, photographie les passages qui l’intéressent particulièrement. Pour l’intégralité du texte, il pourra se reporter aux œuvres de Pascal en Pléiade, auxquelles il manquera cependant toujours le « supplément d’âme » de cette première édition.
La plongée dans les magasins de collections aura-t-elle eu la saveur d’un voyage dans le temps ? Le chercheur préfère l’analogie avec la mécanique quantique : « De la même façon que nous réussissons à recréer les conditions de l’univers primordial en reproduisant, grâce à des collisions de particules de haute énergie, des phénomènes survenus quelques secondes après le Big Bang, la BnF fait, occasionnellement – comme lors de cette résidence – ressurgir dans le présent des traces du passé qu’elle garde habituellement loin des regards. On pourrait donc dire qu’elle est le pendant architectural du vide quantique. De ma part, bien sûr, c’est un immense compliment ! »
Alice Tillier-Chevallier
Article paru dans Chroniques n° 99, janvier-mars 2024