Explorateurs de l’ombre

Pour Chroniques, Hélène Blais, co-commissaire de l’exposition Visages de l’exploration au XIXe siècle. Du mythe à l’histoire, revient sur les questionnements de la recherche actuelle qui ont permis de renouveler le regard porté sur l’histoire de l’exploration. Entretien.

 

Chroniques : Pourquoi une exposition sur l’histoire des explorations à la BnF ?

Hélène Blais : La célébration du bicentenaire de la Société de géographie, dont les fonds sont en dépôt à la BnF, est un magnifique prétexte pour relire toute l’histoire de l’exploration au XIXe siècle à l’aune des questions nouvelles qui sont posées par les historiens des savoirs et des explorations, sur les figures d’intermédiaires, de passeurs. Ce renouvellement historiographique a permis d’interroger un récit très européocentré de l’exploration. Pendant longtemps, la figure de l’explorateur européen, incarné le plus souvent par un jeune homme blanc, que l’on connaît bien par toute la littérature populaire, les romans de Jules Verne par exemple, a rendu invisibles d’autres visages de l’exploration, d’autres traditions de voyages. L’intention de l’exposition est de donner à voir la richesse et la multiplicité des acteurs et actrices enrôlés dans l’aventure, en s’attachant à l’inscrire dans le contexte politique, notamment impérial et colonial, qui marque une grande partie de l’histoire mondiale du XIXe siècle.

Portrait d’El Hadj Ahmed ben Mohammed el Fellati. Empire de Sokoto - BnF, département des Cartes et plans, Société de géographie

 

Les historiens se sont intéressés par exemple à la manière dont les explorateurs entraient en contact avec des sociétés et des acteurs locaux…

On pourra voir dans l’exposition un cliché de Mohamed El Fellati, rencontré par des Français en 1892 à Tunis, alors qu’il était en route pour le pèlerinage à La Mecque. Il fournit alors à ses interlocuteurs des informations précieuses sur le Soudan de l’époque. Il sera par la suite employé pour une mission secrète vers le royaume du Sokoto, financée par la Société de géographie, parce qu’il était le plus à même de pénétrer dans des zones trop dangereuses pour des explorateurs européens. Considéré par les Français comme un simple « informateur », c’était en réalité un lettré, médecin, avec un bagage culturel très important, qui a participé pleinement à cette connaissance en construction. Il existe de très nombreux exemples de ces guides ou compagnons de voyage qui ont fait fonction de passeurs, de facilitateurs et qui ont mis leur savoir au service de l’exploration, de façon plus ou moins contrainte. La plupart d’entre eux sont restés dans l’ombre de l’histoire de l’exploration, ce qui était une façon de leur dénier une connaissance propre et une participation active à ces savoirs.

Cette exposition tente d’opérer des déplacements dans l’histoire de l’exploration et de redonner des visages et des individualités à tous ceux qu’on a eu tendance à oublier, en cherchant dans les sources des traces de cette histoire commune.

Propos recueillis par Sylvie Lisiecki

Entretien paru dans Chroniques n° 94, avril-juillet 2022