Jean-Claude Lemagny, militant de la photographie

Responsable des collections de photographies au cabinet des Estampes de la BnF de 1968 à 1996, Jean-Claude Lemagny a été l’un des premiers conservateurs en France à faire entrer la photographie contemporaine, française et internationale, dans les collections de la Bibliothèque. Décédé en janvier 2023, il restera dans les mémoires comme un fervent défenseur de la photographie en tant qu’art à part entière.

 

Agrégé d’histoire et diplômé en histoire de l’art, Jean-Claude Lemagny fait son entrée à la BnF en 1963 en tant que conservateur pour la gravure du XVIIIsiècle. Fils aîné du graveur Paul Lemagny, il développe une sensibilité prononcée pour cet art graphique où le travail de l’esprit engage à la fois l’œil et la main. En février 1968, Jean Adhémar, alors directeur du cabinet des Estampes, lui demande de prendre la responsabilité des collections de photographies contemporaines. L’institutionnalisation de la photographie n’en est alors qu’à ses balbutiements en France et c’est au contact de conservateurs étrangers ainsi que des photographes qu’il prend la mesure des spécificités de ce médium.

Une politique d’acquisitions orientée vers la jeune création

Inspiré par le rôle pionnier du MoMA à New York dont le département de photographie est créé en 1940, et galvanisé par les Rencontres internationales de la photographie d’Arles dont le coup d’envoi est donné en 1970, il développe une politique d’acquisitions orientée vers la jeune création photographique. Bien avant le musée national d’Art moderne et le Fonds national d’art contemporain, la Bibliothèque se dote ainsi d’une des plus importantes collections de tirages. Lorsque Lemagny quitte ses fonctions, elle en compte près de 100 000. Certains ont été exposés au sein de la galerie permanente de photographie (ouverte gratuitement au public en 1971 sur le site Richelieu, à l’initiative du conservateur), ou bien lors d’expositions. Parmi les plus emblématiques figure La matière, l’ombre, la fiction : photographie contemporaine. Organisée en 1994 à la galerie Colbert du site Richelieu, celle-ci résume parfaitement le positionnement de Lemagny en faveur d’une photographie qu’il qualifie de « créative », une photographie inquiète d’elle-même et à la recherche de ses propres ressources plastiques. C’est aussi un médium qui doit beaucoup à la culture européenne de l’après Seconde Guerre mondiale et notamment au courant de la « Subjektive Fotografie » qui rayonne depuis l’Allemagne à partir des années 1950. À ce titre, il importe de rappeler l’importance significative de l’action de Lemagny dans la constitution de ce que l’on pourrait appeler une conscience européenne, sinon mondiale, de la photographie. À travers les contacts étroits qu’il établit avec les responsables de musées et galeristes étrangers, il a non seulement su élargir les collections à d’autres aires géographiques (Amérique latine et pays de l’Est notamment), mais aussi constituer un réseau institutionnel et artistique traversé par des histoires d’amitiés. Rétrospectivement, Jean- Claude Lemagny apparaît donc comme un acteur incontournable de la patrimonialisation de la photographie en France, ainsi qu’une figure essentielle lorsqu’il s’agit d’aborder l’histoire transnationale des collections publiques.

Marie Auger

Article paru dans Chroniques n° 98, septembre-décembre 2023