À la découverte du fonds mexicain
Le fonds de manuscrits mexicains conservé à la Bibliothèque nationale de France est l’un des plus importants au monde hors du Mexique. Certains de ces trésors sont exposés du 21 septembre 2024 au 12 janvier 2025 dans la galerie Mazarin du musée de la BnF, qui met à l’honneur cette saison les collections extra-européennes de la Bibliothèque. L’occasion de revenir sur l’histoire de la constitution de ce fonds.
Depuis l’exposition Aztlán, terre des Aztèques de 1976-1977, la BnF n’avait plus eu l’occasion de présenter in situ des manuscrits issus de son fonds Mexicain. Au cours des prochains mois, les visiteurs du musée de la BnF pourront découvrir une sélection de ces œuvres, datant du XVe au XVIIIe siècle, illustrant les effets de la colonisation sur les pratiques des tlàcuilòquê – les scribes mexica – et l’étude des civilisations anciennes du Mexique par les Occidentaux et les premiers historiens du Mexique.
Les codex pictographiques des missionnaires espagnols
Après la destruction massive des codex indigènes, des figurines et des idoles, considérés comme relevant du paganisme et donnant à voir des démons, les missionnaires franciscains et dominicains du XVIe siècle ont cherché à comprendre le panthéon préhispanique pour mieux œuvrer à la conquête spirituelle des populations autochtones du Mexique. Ils apprirent les langues indigènes pour exercer leur ministère et produisirent des catéchismes testériens, ainsi désignés selon le nom du frère Jacobo de Testera (vers 1480-1545). Ce missionnaire, arrivé à Mexico en 1529, utilisait de grandes toiles peintes qu’il commentait pour expliquer la doctrine chrétienne à ses nouveaux fidèles. Les manuscrits en écriture « testérienne » emploient ainsi des glyphes, inventés par les missionnaires, qui s’inspirent des pictographies autochtones.
L’écriture de l’histoire mexicaine
Afin de catéchiser les jeunes et former une élite religieuse indigène, les missionnaires créèrent des écoles conventuelles à Tlaxcala et Texcoco, puis le Collège de Santa Cruz de Tlatelolco : les enfants de la noblesse autochtone y apprenaient l’alphabet latin et la grammaire latine. De tels établissements permirent l’éclosion des premiers historiens du Mexique, comme le chroniqueur métis texcocan Juan Bautista Pomar (vers 1535-1590) à qui l’on doit une Relación de Texcoco (1582), perdue mais copiée par Fernando de Alva Itxtlilxóchitl (1578?-1650), chroniqueur indigène de Texcoco, l’un des premiers historiens du Mexique — avec Hernando Alvarado Tezózomoc ou Domingo Francisco de San Antón Muñón Chimalpahin Cuauhtlehuanitzin — qui utilisèrent les codex pictographiques pour connaître le passé préhispanique de la Nouvelle-Espagne. Il employa plusieurs codex texcocans comme sources principales de son œuvre historique, l’Historia de la Nación chichimeca, tout comme le Frère Juan de Torquemada (vers 1557-1624). Après cette première génération d’historiens indigènes ou espagnols, l’historiographie mexicaine compta avec les chercheurs novohispaniques comme Mariano Veitia (1718-1780), Francisco Javier Clavijero (1731-1787) et Antonio de León y Gama (1735-1802), célèbre pour sa description de la Pierre du Soleil, découverte en 1790 à Mexico. Son intérêt pour les codex préhispaniques et l’histoire du Mexique ancien se manifeste par sa copie du Codex en Croix, manuscrit dont l’original est également conservé à la BnF. Il s’agit d’une chronique couvrant les années 1401 à 1569, narrant l’histoire de plusieurs cités-États (« altepetl ») comme celles de Cuauhtitlan, Texcoco, Tepetlaoztoc ou encore Tenochtitlan, et qui fournit des informations sur les famines, les pluies, les guerres, les souverains, les conquêtes…
L’origine du fonds mexicain de la BnF
Les manuscrits actuellement présentés au musée proviennent de la collection de l’américaniste Joseph Marius Alexis Aubin (1802-1891). Après une première carrière d’enseignant en France, Aubin partit au Mexique en 1830 pour des recherches en physique et astronomie. Il se passionna pour les études historiques, apprit la langue náhuatl et s’efforça de reconstituer pendant dix ans la collection de l’ethnographe italien du XVIIIe siècle Lorenzo Boturini, qu’il rapporta en France. C’est là, en 1889, que le philanthrope franco-mexicain et industriel Eugène Goupil (1831-1895) lui acheta sa collection dans l’intention de l’offrir à la Bibliothèque. Ernestine Goupil, sa veuve, exécuta sa volonté en léguant le fonds en 1898, permettant l’accès aux savants de documents d’importance capitale majoritairement issus des hauts plateaux du Mexique.
Olivier Jacquot
Article paru dans Chroniques n° 101, septembre-décembre 2024