La mémoire des jeux vidéo

Chargée du dépôt légal des jeux vidéo depuis une trentaine d’années, la BnF est confrontée à des défis complexes : comment les conserver ? comment constituer des archives qui gardent trace de ces jeux et des façons d’y jouer ? Une journée d’étude organisée le 12 mai 2023 se penche sur ces questions.

 

L’aventure commerciale du jeu vidéo commence dans les années 1970, avec la multiplication des bornes d’arcade et les premières consoles de salon. Au croisement des autres arts, il n’a cessé de se développer depuis lors, notamment en France, où l’on comptait en 2021 pas moins de 700 studios de production, si l’on en croit le baromètre annuel établi par le Syndicat national du jeu vidéo. Une autre particularité française réside dans l’extension du dépôt légal aux documents électroniques, et donc aux jeux vidéo, dès 1992-1993. En 30 ans, plus de 20 000 jeux ont intégré par ce biais les collections patrimoniales de la BnF : ils sont consultables en bibliothèque de recherche sur le site François-Mitterrand.

Conserver les jeux vidéo, un défi pour la BnF

La collecte et la conservation des collections de jeux vidéo ont dès le départ posé un certain nombre de défis : les supports (bandes magnétiques, cartouches, disques optiques) et les machines qui permettent de les lire n’ont qu’une durée de vie limitée. Quant aux jeux les plus récents, une connexion en ligne est bien souvent nécessaire pour les utiliser : les mesures de protection dépendant de serveurs distants, les mises à jour périodiques, les jeux multijoueurs reposant sur des communautés représentent autant d’obstacles à la pérennité de logiciels qui ne seront sans doute plus accessibles dans un avenir plus ou moins lointain.

La constitution d’archives de la jouabilité

Dans ce contexte, la BnF mise notamment sur les procédés d’émulation, qui permettent de lancer un jeu ancien sur une machine récente. Mais la constitution d’un patrimoine vidéoludique passe également par la collecte de traces et de témoignages d’usages du jeu vidéo. De nombreux documents annexes aux jeux sont sauvegardés à la BnF au titre du dépôt légal, comme la littérature sur le jeu vidéo ou la presse spécialisée. Les archives du web composent également un vaste réservoir de données sur ce sujet : outre les sites, forums et autres blogs spécialisés, on y trouve des captations de parties qui donnent à voir les jeux et la façon d’y jouer. Les émissions télévisées, ancêtres de YouTube, Dailymotion ou Twitch, contiennent aussi de précieux enseignements. D’autres ressources sont en revanche plus difficiles à obtenir, à l’image des archives de développement qui précisent les différents processus de création. Le code source lui-même devient un sujet d’étude à déchiffrer, riche d’enseignement sur la nature du logiciel et les choix de programmation.

Comme tout objet culturel, le jeu ne peut être compris en dehors de son contexte et des traces immatérielles qui l’entourent, les expériences des joueuses et des joueurs, autant de témoignages volatiles qui méritent également d’être préservés. L’ensemble de ces éléments constitue ce que l’on appelle désormais les « archives de la jouabilité » – terrain étudié par un nombre grandissant de chercheuses et chercheurs en France et à l’étranger, dont les enjeux sont au coeur de la journée accueillie à la Bibliothèque nationale de France le 12 mai.

David Benoist

Article paru dans Chroniques n° 97, avril -juillet 2023