Le manuscrit enchaîné de la BnF

Cette reliure, unique dans nos collections, a conservé sa chaîne du Moyen Âge. Dans cet article, nous revenons sur cet ouvrage exceptionnel, son origine et cette pratique, courante au Moyen Âge.

 

Reliure manuscrit NAL 226 - BnF

 

 

Un manuscrit enchaîné

Ce manuscrit est conservé au  Département des Manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, et bénéficie du statut de manuscrit de Réserve, en raison de sa reliure tout à fait unique dans nos collections. En effet, cette reliure est très ancienne et représentative des pratiques du Moyen Âge. Elle présente deux ais de bois, c’est-à-dire des planchettes en bois, assez fortement chanfreinés, taillés en biseau sur les bords et couverts de peau blanche, probablement de cervidé. Les doubles nerfs de ficelle sont apparents sur le dos. 

Et, fait extraordinaire, elle a conservé sa chaîne de l’époque. Une chaîne en fer, longue de 28 cm, est rivée à la partie supérieure du plat inférieur , elle est terminée par un anneau destiné à être traversé par une tige de métal solidaire du pupitre sur lequel le livre était posé. Les angles sont protégés par des coins de laiton ciselé et repoussé qui portent l’inscription : « O mater dey/misereri.m. » Une agrafe de laiton est attachée au fermoir pour assurer la fermeture du livre.

Œuvres théologiques, Jean Gerson, XVe siècle - BnF

 

 

Origine

Œuvres théologiques, Jean Gerson, XVe siècle - Œuvres théologiques, Jean Gerson, XVe siècle

Le manuscrit contient l’ex-libris du XVe siècle de l’abbaye d’Ochsenhausen (dans l’actuelle Allemagne)  « Fratrum Ochsenhusanorum » au premier feuillet, ainsi que l’estampille plus tardive de l’abbaye. 

Lors de la sécularisation de 1803, Ochsenhausen revint au comte d’Empire Franz Georg Karl von Metternich. Lors de la vente de leur propriété d’Ochsenhausen au land Wurtemberg  en 1825, les manuscrits et les imprimés les plus précieux furent transférés au château de Kynzvart en Bohème où ils se trouvent encore actuellement. Le devenir du manuscrit NAL 226 est inconnu entre 1803 et 1878, date de son entrée dans les collections de la bibliothèque nationale. On sait alors qu’il a été acquis pour 100 francs auprès d’un libraire, entre le 20 février et le 16 mars 1878. 

 

Les manuscrits enchaînés au Moyen âge

Au Moyen Âge, il est courant d’enchainer les manuscrits, à partir du XIIIe  siècle. 


À Paris, le collège de Sorbonne, ouvert par Robert de Sorbon vers 1257 est doté d’une bibliothèque mise à la disposition des membres du collège, dès la fin du XIIIe  siècle. Cette bibliothèque est constituée de deux fonds distincts : la libraria communis, contenant, enchaînés, les usuels du collège, nécessaires au travail de tous, et la parva libraria, le fonds disponible au prêt. Il existe peu des témoins de cette pratique mais certains sont encore préservés dans leur emplacement d’origine. 

En Italie, à Césène (Emilie Romagne) la bibliothèque du seigneur Domenico Malatesta Novello, La Malatestiana, unique bibliothèque du Quattrocento encore intacte, va faire école et son modèle de salle de lecture sera largement repris dans de nombreuses bibliothèques, à commencer par celles des monastères. Le procédé d’enchaînement des livres va perdurer près de trois siècles, même si, réservé aux livres anciens et précieux, il ne s’applique pas à tous les ouvrages d’une même bibliothèque. Encore dotée d’une grande partie de ses aménagements d’origine, elle a fonctionné sans interruption majeure depuis sa fondation  autour d’une salle de lecture composée de deux rangées de pupitres capables d’accueillir 58 personnes. Les ouvrages rangés sous les tables sont tous reliés par une chaîne à une barre métallique.

En Hollande, dans la librijie de Zutphen, construite entre 1561 et 1564, les livres sont directement enchaînés sur les pupitres, et certains occupent toujours la place qui leur avait été attribuée.

La très grande majorité des bibliothèques enchaînées encore existantes, soit plus d’une douzaine, se trouvent concentrées au Royaume-Uni. La plus connue dans le genre est celle d’Hereford, une imposante bibliothèque créée en 1611 et située dans les Midlands, à proximité du pays de Galles. Rangés dans des armoires, les livres peuvent être consultés sur des pupitres qui font corps avec le meuble, les ouvrages étant fixés par de solides chaînes.

La même installation se retrouve dans une des sections de la bibliothèque de la cathédrale de Wells.