« Le Sacre du printemps », symbole de la modernité

Considéré comme une œuvre de rupture, Le Sacre du printemps de Stravinsky a fait basculer la création musicale et chorégraphique dans la modernité. Le manuscrit autographe du ballet a été acquis par la Bibliothèque en 1986.

Igor Stravinsky, « Le Sacre du printemps », manuscrit autographe - BnF, département de la Musique / Photo Elie Ludwig

 

La création houleuse du Sacre du printemps, le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, par les Ballets russes de Serge Diaghilev, est considérée comme l’un des grands jalons du XXe siècle artistique, tant dans le domaine de la musique que de la danse. Les positions pieds en-dedans et les sautillements frénétiques de la chorégraphie de Vaslav Nijinski, tout comme le langage orchestral âpre et bannissant la mélodie d’Igor Stravinsky exaspérèrent une partie du public dont les vociférations sont restées légendaires.

Avec sa mise en scène chaotique soulignant une musique dissonante, le ballet constitua l’une des grandes ruptures fondatrices de la création contemporaine. Alors que la chorégraphie de Nijinski tomba rapidement dans l’oubli – au point de devoir être reconstituée par Millicent Hodson et Kenneth Archer pour pouvoir être redonnée à partir de 1987 –, la partition de Stravinsky s’imposa comme l’un des grands classiques du répertoire orchestral du siècle passé et comme l’un des morceaux de bravoure de tout chef d’orchestre confirmé. Publiée pour la première fois au début des années 1920 mais maintes fois corrigée et révisée par le compositeur, l’œuvre fit l’objet de plusieurs éditions sans que jamais aucune ne fît vraiment autorité et dispensât totalement l’interprète de se plonger dans le maquis des sources de ce chef-d’œuvre de la musique du XXe siècle.

Un ensemble de sources musicales cohérent

Le manuscrit autographe du Sacre du printemps a été préempté par la Bibliothèque en 1986 lors de la dispersion en vente publique de la fabuleuse collection d’André Meyer. Cette acquisition s’inscrivait dans le cadre des actions menées par l’établissement pour rassembler les éléments les plus significatifs du patrimoine musical national et complétait aussi les importantes collections de la BnF (archives, partitions, dessins de décors et de costumes, photographies, programmes, affiches, costumes…) sur la compagnie de Diaghilev, qui marqua puissamment Paris et le monde artistique au début du XXe siècle.

Elle créait enfin au sein de la Bibliothèque un ensemble de sources musicales cohérent autour du Sacre du printemps constitué, outre ce manuscrit, par les esquisses autographes du « Sacre » acquises elles aussi lors de la vente Meyer et par le manuscrit autographe du dernier numéro du Sacre du printemps, la « Danse sacrale de l’élue », dans sa réorchestration de 1943 (don de la compositrice Nadia Boulanger en 1980). Contenant vingt-trois feuillets de belle dimension, méticuleusement notés à l’encre noire par Stravinsky, peut-être aidé par sa première épouse, Catherine, le manuscrit propose un premier état complet de la première des deux parties du Sacre du printemps. Abondamment repris, il porte des corrections du compositeur ainsi que des annotations du chef d’orchestre qui assura la création du ballet, Pierre Monteux. Il fut confié par Stravinsky au compositeur Nicolas Miaskovski pour vérification et corrections d’erreurs et pour qu’il le montrât à l’influent critique Vladimir Derjanovski. Il servit sans doute de base à la réalisation du manuscrit définitif complet conservé à la Fondation Paul Sacher de Bâle et constitue l’une des traces les plus spectaculaires d’un moment fondateur de la modernité.

Mathias Auclair

Article paru dans Chroniques n° 97, avril -juillet 2023