Le talentueux Mr Yared
Par le don de ses archives de travail à la BnF, le compositeur Gabriel Yared ouvre aux chercheurs les portes de son laboratoire créatif. Œuvres de jeunesse, chansons, orchestrations et jingles côtoient les manuscrits d’une soixantaine de bandes originales, dont celles pour les films L’Amant (1991) de Jean-Jacques Annaud, Le Patient anglais (1996) et Le Talentueux Mr Ripley (1999) d’Anthony Minghella, couronnées de prestigieuses récompenses.
Celui qui se définit comme un « autodidacte fervent » naît au Liban en 1949. Alors qu’aucun antécédent familial ne le prédestinait à une vie d’artiste, Gabriel Yared se passionne tout jeune enfant pour la musique. La riche bibliothèque musicale du pensionnat jésuite de Beyrouth regorge de partitions qu’il déchiffre sur l’orgue de la cathédrale. À partir des années 1970, c’est en suivant les enseignements de Henri Dutilleux, de Maurice Ohana, ainsi que des cours de contrepoint et fugue qu’il apprend et formalise son art.
Des débuts dans la publicité puis la variété
Ses premiers contrats dans une agence publicitaire aiguisent son sens de la formule musicale. Des liasses conservées dans le fonds jaillissent ainsi des mélodies associées à des marques bien connues : Shell, Hollywood Chewing Gum, Danone, Lego, Yves Rocher, Nivea, Gaz de France… Une autre mélodie sera sans doute familière aux oreilles des lecteurs de Chroniques : le générique du Journal de 20 heures sur TF1 ! En tant qu’orchestrateur et compositeur, Gabriel Yared travaille aussi avec de nombreux artistes de variété. Citons Charles Aznavour, Gilbert Bécaud, Michel Jonasz, Johnny Hallyday et Françoise Hardy.
Composer pour le cinéma
Les années 1980 marquent le début d’une plongée dans l’univers de la musique de films. À l’origine, une rencontre avec Jean-Luc Godard qui ne manque pas de piquant : désormais désireux de créer plus librement, le compositeur refuse le simple travail d’orchestration que le cinéaste de la Nouvelle Vague lui propose d’abord pour son film Sauve qui peut (La vie) ! Ses collaborateurs louent en Gabriel Yared un créateur passionné dont la musique se déploie sans jamais décalquer les images animées : il se méfiera longtemps de l’influence que des plans déjà tournés pourraient exercer sur ses compositions en cours. Le film articule ainsi deux œuvres à part entière, voire davantage puisque l’artiste ponctue ses travaux de références érudites : Ravel, Dutilleux, Strauss, Bach ou Chopin.
Au plus près du processus créatif
Certaines pièces tiennent une place singulière dans l’ensemble donné à la BnF, à l’instar des manuscrits concernant le film Camille Claudel de Bruno Nuytten, sorti en 1988. Bouleversé par le jeu des acteurs qui le décida à composer pour ce film, Gabriel Yared éprouve encore aujourd’hui une tendresse toute particulière pour cette œuvre, symbole de l’imbrication entre les sphères professionnelle et personnelle dont les archives d’artistes se font immanquablement l’écho. Des échecs naissent aussi de véritables pépites pour les chercheurs qui s’intéressent au processus de création. Le fonds renferme par exemple les tirages de musiques composées pour le blockbuster Troy (Wolfgang Petersen, 2003) : ces versions, enregistrées puis rejetées par la production, ne figurent pas dans le montage final. Prolifique, Gabriel Yared a également composé des musiques de ballet, notamment pour les chorégraphes Roland Petit et Carolyn Carlson. Aujourd’hui encore, il poursuit sa quête de beauté avec une rigueur qui n’a d’égale que sa générosité.
Lou Delaveau
Article paru dans Chroniques n° 98, septembre-décembre 2023