Objectif Sahara

Pierre Guivaudon, lauréat de la bourse Louis Roederer pour la photographie 2018, étudie la pratique photographique des voyageurs français en outremer à la fin du XIXe siècle. Chroniques l’a rencontré.
 
Pierre Guivaudon - chercheur associé BnF - Emmanuel Nguyen Ngoc / BnF

 

Chroniques : Vous avez obtenu une bourse de recherche pour travailler sur les photographies de Fernand Foureau, un explorateur qui s’est rendu en Afrique du Nord dans les années 1880 et 1890. Comment est né ce projet ?

 

Pierre Guivaudon : Dans le cadre de ma thèse sur les photographies prises lors des missions françaises en Amérique du Sud et en Afrique saharienne et subsaharienne au tournant des XIXe et XXe siècles, j’ai été amené à consulter les fonds photographiques de la Société de géographie, en dépôt au département des Cartes et plans de la BnF. À cette occasion, j’ai rencontré Olivier Loiseaux, chef du service Acquisitions et collections géographiques. C’est lui qui m’a parlé de la bourse Roederer et qui m’a conseillé d’y postuler.


Le fonds Fernand Foureau, sur lequel je souhaitais travailler, est en partie constitué de plusieurs centaines de photographies sur plaques de verre rapportées de ses expéditions. Or il s’agit de supports très fragiles dont la consultation est habituellement restreinte pour des raisons de conservation. La bourse de recherche m’a permis d’avoir un accès privilégié à ce fonds, en mettant à ma disposition un bureau sur le site François-Mitterrand, avec l’ensemble des plaques de verre et une table lumineuse rétroéclairée pour les étudier.

 

En quoi consistaient les expéditions de Fernand Foureau ?

Entre 1880 et 1900, il a entrepris une quinzaine de missions d’exploration au Sahara pour y étudier la géomorphologie du désert. Il faisait alors œuvre de géographe, mais son travail s’inscrivait aussi dans une perspective coloniale visant, à l’époque, l’exploitation économique du Sahara et le tracé d’une route pour accéder à l’Afrique de l’Ouest. Il est l’un des rares à photographier le désert à la fin du XIXe siècle…


À l’époque, faire des photographies dans le Sahara représentait un défi à la fois logistique et technique. D’abord parce que les plaques au gélatino-bromure d’argent, pas vraiment conçues pour ce type de climat, devaient être tenues à l’abri de la lumière et de la chaleur, mais aussi parce qu’une très forte luminosité empêchait souvent d’avoir des images nettes. Mais Foureau était un grand amateur de photographie, très au fait des aspects techniques. Il a pu prendre, dans le désert, plusieurs centaines de vues scientifiques d’espèces botaniques et de paysages dont la variété était alors méconnue en Europe. On y trouve des reliefs sahariens inattendus, des canyons qui font penser à des scènes de westerns. Mais le fonds révèle aussi une pratique plus personnelle de la photographie, avec de nombreux portraits des guides touaregs et des gardes qui l’accompagnaient.

 

À quels usages étaient destinées ces photographies du désert saharien ?

Les plaques de verre négatives servaient à faire des tirages positifs sur d’autres plaques de verre que l’on pouvait projeter sur grand écran avec une résolution d’image extrêmement fine. Les explorateurs comme Foureau s’en servaient comme supports lors des conférences qu’ils donnaient à leur retour de mission, à la Société de géographie ou dans d’autres sociétés savantes partout en France.


Cette modalité de circulation des images était bien plus répandue que les albums sur papier. C’est une pratique que les historiens de la photographie ont longtemps laissée de côté – notamment du fait de la fragilité et de l’inaccessibilité des fonds. De ces conférences, il ne nous reste que ces plaques de verre. Elles constituent en cela une source intéressante pour l’histoire sociale de la photographie.

 

Propos recueillis par Mélanie Leroy-Terquem

Entretien paru dans Chroniques n° 91, avril-juillet 2021