Patrick Roegiers, l’écriture buissonnière

L’écrivain et critique Patrick Roegiers a fait don à la BnF de l’intégralité de ses archives, réparties entre le département des Manuscrits et celui des Estampes et de la photographie. Ainsi s’offre aux chercheurs le témoignage vivant d’un parcours libre et créatif, entre théâtre, photographie et littérature.

 

Né à Ixelles (Belgique) en 1947, Patrick Roegiers se consacre d’abord au théâtre, comme comédien, dramaturge et metteur en scène. À la tête de son Théâtre provisoire, dans les années 1970, il secoue la vie dramatique du royaume avec des spectacles iconoclastes. La brutale suppression de la subvention d’État, en 1983, met fin à cette aventure et le pousse à un exil sans retour vers Paris ; il est naturalisé français en 2017. La rupture est consommée avec son pays natal, qui ne cessera pourtant de l’obséder.

Patrick Roegiers © Jean-François Paga / Grasset

 

Une passion pour les mots et les images

Ainsi commence sa seconde vie de critique artistique : il succède à Hervé Guibert comme responsable de l’actualité photographique au Monde, de 1985 à 1992. La photographie irrigue alors l’ensemble de ses activités – critique, commissaire d’exposition, intervieweur – et l’amitié qui le lie à l’écrivain et photographe Denis Roche, son premier éditeur au Seuil, confirme cette passion mêlée pour les mots et les images. Il s’intéresse à toutes les périodes de l’histoire de la photographie, à toutes les pratiques. De cette inlassable curiosité témoignent sa trilogie L’Œil multiple (1992), L’Œil complice (1994), L’Œil ouvert (1999), et ses monographies consacrées à August Sander, Diane Arbus ou Tom Drahos. Proche de Jean-Claude Lemagny, conservateur pour la photographie à la BnF de 1968 à 1996, d’Alain Desvergnes, premier directeur de l’École de photographie d’Arles, ou de Jean-Luc Monterosso, fondateur de la Maison européenne de la photographie et du Mois de la photo, il a contribué à la reconnaissance du « huitième art ». Acteur de l’âge d’or de la critique photographique, il l’a défendue et illustrée non comme simple compte rendu mais comme prise de position, affirmant son désir « de voir et de penser, d’analyser une œuvre avec les yeux de l’esprit ». Certaines photographies de sa collection – Gilbert Fastenaekens, Arnaud Claass, Marie-Françoise Plissart, Dominique Delpoux —, de même que sa correspondance avec des photographes du monde entier comme Jan Saudek ou Evgen Bavcar attestent de ses goûts et des connivences tissées tout au long de sa carrière.

Du journalisme à la littérature

Au tournant du XXIe siècle enfin, Patrick Roegiers prend ses distances avec le journalisme pour se consacrer au mode d’expression qui résume et sublime ses recherches successives : la littérature. Car s’il y a une constante au long de ce parcours aventureux, c’est bien l’exploration des langages divers par lesquels l’esprit humain se confronte au monde. De Beau regard (1990) à Ma vie d’écrivain (2021) s’élabore une œuvre riche et variée, portée par une recherche formelle, une lutte continue entre débordement poétique et abstraction mathématique, dont témoignent ses manuscrits abondamment travaillés. À travers la multiplicité des genres (roman, essai, autobiographie), des thèmes reviennent : le regard, l’art, la famille, la gémellité – et bien sûr la Belgique, que Patrick Roegiers ne se lasse pas de fustiger avec verve et érudition, tout en célébrant ses créateurs, de Simenon à Magritte en passant par Van Eyck et Michaux. Car chez cet esprit libre et insatiable, l’exigence n’a d’égale que la capacité d’admiration. 

Thomas Cazentre et Héloïse Conésa

Article paru dans Chroniques n° 92, septembre-décembre 2021