Pour une histoire de la bande dessinée

La BnF reçoit l’écrivain Benoît Peeters pour deux conférences consacrées à la bande dessinée francophone, à l’occasion de la publication de son ouvrage La Bande dessinée entre la presse et le livre. Article paru dans Chroniques, n°86 – Septembre-décembre 2019.
Benoît Peeters

« J’ai beau faire, tout m’intéresse » : ces mots de Paul Valéry – auquel il a consacré un livre en 2014 – peuvent tout aussi bien s’appliquer au travail que Benoît Peeters mène depuis près de quarante ans. Biographe de Hergé et de Derrida, scénariste du cycle des Cités obscures dessiné par son ami François Schuiten, mais aussi réalisateur, romancier, fin gastronome – Peeters est, selon ses propres termes, un « éclectique obsessionnel ». L’ouvrage et les deux conférences qu’il consacre à l’aventure de la bande dessinée francophone, depuis Töpffer jusqu’au roman graphique contemporain, témoignent à la fois de cette curiosité toujours en éveil et du plaisir qu’il éprouve à partager les « fragments » d’une histoire qui reste encore à écrire.

Le parcours proposé par Peeters ne se veut pas exhaustif : à travers le récit des grands jalons de l’histoire de la bande dessinée, depuis Caran d’Ache et Steinlen jusqu’à Riad Sattouf, en passant par Pilote, Métal hurlant et À suivre, il invite à explorer les rayonnages de sa bibliothèque rêvée. On y croise Bécassine, Barbarella, Tintin, Corto Maltese ou Gaston Lagaffe, autant de figures qui peuplent notre mémoire collective et font ressurgir, au fil des images, des souvenirs plus ou moins lointains, plus ou moins intimes.

Une définition poreuse de la bande dessinée

Pour autant, la démarche à l’œuvre dans La Bande dessinée entre la presse et le livre n’est pas celle d’un collectionneur nostalgique, mais plutôt celle d’un enquêteur interrogeant les définitions étroites d’un médium dont la pluralité des dénominations (BD, roman graphique, comic strip, manga, ou encore neuvième art) dit bien la difficulté à le circonscrire. « J’ai toujours été favorable à une définition poreuse », souligne Peeters : fondamentalement hybride, oscillant depuis le XIXe siècle entre l’univers de la presse et celui du livre, entre public jeunesse et lectorat adulte, la bande dessinée telle qu’elle est ici cartographiée se caractérise par la perméabilité de ses frontières – qu’elles soient formelles ou disciplinaires.

Car si l’histoire de la bande dessinée a longtemps été celle des albums publiés, plusieurs facteurs ont contribué ces dernières années à un changement de perspective dont témoigne la démarche de Benoît Peeters. Le travail de valorisation mené par la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême ainsi que la numérisation massive des titres de presse du XIXe et du début du XXe siècle par la Bibliothèque nationale de France ont permis aux chercheurs de révéler une production considérable, qui n’avait pas nécessairement fait l’objet de publications sous forme d’albums.

Le rôle de Gallica

La mise en ligne dans Gallica de ces journaux, mais aussi de quantité d’images d’Épinal, conduit à reconsidérer la « mutation dans le régime des images » que constitue l’apparition de la bande dessinée et à revenir sur les croyances que l’on peut avoir au sujet de ses lieux et dates de naissance, ses publics supposés, ses modalités de lecture. En invitant à replacer la bande dessinée « entre la presse et le livre », Benoît Peeters plaide pour une approche décloisonnée de son histoire et offre à son lecteur un aperçu gourmand des richesses qu’elle a à offrir.

 

Mélanie Leroy-Terquem