Provenances illustres et livres annotés

Marques de possessions, exemplaires de dédicace et de présent, exemplaires annotés : retrouvez ici toutes les provenances illustres et les livres annotés.

 

Marques de possession 

Les marques de possession, dite aussi de provenances, prennent des formes multiples et sont portées aussi bien sur que dans le livre. 


L’usage de frapper en toutes lettres le nom du possesseur sur la reliure (plats, dos ou tranches) existe depuis le Moyen Âge. Il perdure aux XVe et XVIe siècle, et il est aussi bien le fait de personnes aujourd’hui anonymes, que de possesseurs de grandes bibliothèques, tel Jean Grolier (v. 1489-1565). Le nom peut-être accompagnée de formules ou de devises, écrites aussi en toutes lettres. On voit parallèlement se développer, à la fin du XVIe siècle, les reliures armoriées, autrement dit les reliures portant les armes ou blasons des propriétaires des ouvrages. L’usage en débute en France avec Louis XII, premier roi de France à les faire figurer sur ses livres. François Ier en systématise l’emploi et quelques grands personnages l’imitent, tel Anne de Montmorency. Adopté par Jacques-Auguste de Thou et les grands collectionneurs du début du XVIIe siècle, comme les frères Dupuy et Gaston d’Orléans, l’usage des armoiries se généralise dans la seconde moitié du siècle et ne cesse de s’amplifier jusqu’à la Révolution. Après un bref regain pendant la période impériale, il s’effondre au XIXe siècle.

 

 

La marque de possession peut être plus sybilline, par l’apposition des seules initiales du propriétaire ou par l’entrelacement de deux lettres de son nom (chiffre) ou de plus de deux lettres (monogramme).


Les pages de garde et les feuillets liminaires sont les autres lieux d’élection des marques de possession. La forme la plus simple et la plus fréquente est celle d’une simple mention manuscrite du nom, accompagnée parfois d’une formule « et amicorum ». C’est ainsi que se reconnaissent les ouvrages ayant appartenu à Rabelais, Ronsard, Montaigne ou Racine. Il peut s’agir, dans les périodes les plus anciennes, d’armoiries peintes. Rares au XVIe siècle, les ex-libris gravés, le plus souvent héraldiques et anonymes, se multiplient au XVIIe siècle et envahissent les livres après 1700. Vers 1630, la gravure sur bois cède la place dans leur mode de fabrication à celle sur cuivre puis au XIXe siècle à la lithographie et surtout à la gravure sur acier.

Exemplaires de dédicace et de présent

L’offrande d’un livre est un geste très ancien, qui appela très tôt la réalisation d’exemplaires de dédicace et de présent, solennellement remis à quelque protecteur ou mécène. Le livre imprimé accueille de diverses manières les marques de cette solennité : par la qualité du support utilisé pour l’impression (grand papier ou peau de vélin), par le recours à l’enluminure et à une iconographie qui personnalise l’exemplaire, ou encore par l’emploi d’une reliure, de caractère plus ou moins luxueux, qui porte sur elle les marques de l’hommage (chiffres et armoiries).


Il est de tradition de distinguer exemplaire de dédicace et exemplaire de présent : le premier s’adresse à celui que l’auteur ou l’éditeur a également désigné, par une épître dédicatoire, comme destinataire de l’œuvre elle-même ou de son édition, tandis que pour le second, l’offrande s’arrête au seul objet matériel que l’on remet.

 

Exemplaires annotés

Bien peu de livres ont traversé les siècles en échappant à toute marque, en relation ou non avec leur contenu : soulignements, manchettes, notes de lectures, commentaires personnels, corrections, traces de censure, annotations liées à l’exercice d’une profession ou d’une activité ; ces marques sont multiples et de tous ordres. Dans les livres anciens, les notes de lectures sont le plus souvent des notes rhétoriques ou notabilia : les mots importants du texte sont répétés dans les marges comme des entrées d’index, que le lecteur pouvait, à terme, réunir dans une sorte de répertoire à son usage personnel. Il en va autrement des corrections manuscrites, des variantes et des gloses ajoutées sur un exemplaire après collationnement du texte avec des manuscrits ou d’autres éditions imprimées : ces notes peuvent présenter un intérêt pour l’histoire du texte.

 

Les annotations acquièrent un intérêt supplémentaire quand on en connaît l’auteur : notes savantes d’érudits de la Renaissance, comme celles d’Ange Politien sur ses exemplaires des œuvres de Cicéron et de Virgile ou celles de Guillaume Budé sur son exemplaire des Commentaires de la langue grecque, d’érudits des XVIIe et XVIIIe siècles comme celles du grammairien Gilles Ménage (1613-1692) ou du théologien et érudit Pierre-Daniel Huet (1630-1721), dont la collection léguée aux jésuites fut rachetée en 1765 pour la Bibliothèque du roi. Mais on attache un prix tout particulier aux commentaires que d’illustres écrivains ont porté en marge de l’œuvre de leur pairs ou de textes qui les ont inspirés. Parmi les pièces remarquables de ce type conservées à la Réserve, mentionnons les notes de François Rabelais (1484-1553) sur des livres de médecine, celles du poète François de Malherbe (1555-1628) sur les œuvres de son contemporain Philippe Desportes (1546-1606), de Jean Racine (1639-1669) sur ses exemplaires en grec des œuvres d’Homère et des tragiques grecs, de Jean-Jacques Rousseau (1712-1772) sur le De l’esprit du philosophe Helvetius (1715-1771), de Napoléon sur les Mémoires de son ministre de la Police Joseph Fouché (1759-1820), de Stendhal sur les oeuvres de Montesquieu et Saint-Simon.


Il faut attendre le XIXe siècle pour que l’exemplaire où l’auteur avait porté de sa main des corrections ou des amendements devienne objet de convoitise bibliographique. La faveur des tirages de tête incita quelques auteurs à demander pour leur usage propre une impression sur papier rare ou même sur vélin. Certains éprouvèrent le besoin de singulariser leur exemplaire de luxe, dépourvu de tout signe d’appartenance, par l’apport d’une reliure qui, en sacralisant l’objet, visait aussi à sacraliser la fonction d’auteur.