Ravel confidentiel

L’association des Amis de Maurice Ravel (AMR) fait don au département de la Musique de la BnF de ses collections de manuscrits. Ces archives livrent une vision intime d’un compositeur phare de la musique française du XXe siècle.

Un ensemble de 240 documents rares et précieux concernant la vie et l’œuvre du compositeur a été remis à la BnF par l’association des Amis de Maurice Ravel. Rassemblée grâce à Gabriel Yared et Manuel Cornejo, respectivement président d’honneur et président-fondateur des AMR, cette collection fait découvrir Ravel sous l’angle de l’amitié, lien vital pour cet homme très réservé, qui se retirait du monde pour composer. Éclairées par des documents, partitions et lettres de proches, les quelque soixante-dix lettres et cartes postales envoyées par Ravel à ses amis entre 1904 et 1935 mettent en lumière un artiste exigeant, à l’esprit plein d’humour et de poésie. «  ;Fais ce que veulx.  » Revendiquée par le compositeur en 1927, cette maxime empruntée à Gargantua résume magnifiquement cette personnalité hors norme : celle du compositeur qui deviendra le chef de file de la musique française du XXe siècle, mais que son langage novateur, fait de simplicité et de raffinement, écartera cinq fois du prix de Rome ; celle de l’homme qui, engagé volontaire sur le front en 1916 bien que réformé, s’opposera à tout patriotisme aveugle et refusera en 1920 la Légion d’honneur.

 

Maurice Ravel, Trois chansons, 1916. Partition dédicacée à sa marraine de guerre Madame Fernand Dreyfus. BnF, département de la Musique - BnF

Sous le sceau de l’amitié

Les noms égrenés au fil des correspondances esquissent une riche cartographie de la sphère ravélienne. Les « Apaches », amis de la première heure, composent avec ses proches élèves et ses interprètes favoris une véritable famille élective. La série de lettres adressées par Ravel à Maurice Delage en juillet 1905 depuis le yacht Aimée, lors d’une croisière quasi initiatique organisée par Misia, avec ses amis Godebski, a valeur de journal de bord. Elle nous fait partager l’enthousiasme du compositeur, dont l’esprit, nourri des images du «  Rhin tragique et légendaire  » de «  Hugo, Wagner et Gustave Doré  », est soudain saisi par la puissante musicalité des paysages industriels, de ces «  cathédrales incandescentes  », d’où résonne « la merveilleuse symphonie des courroies, des sifflets, des formidables coups de marteaux qui vous enveloppent  ». Quelque vingt-trois années plus tard, c’est le Nouveau Monde qui s’ouvre à lui grâce à la triomphale tournée américaine de 1928, qui le conduit de New York à San Francisco et Toronto et le porte au faîte de la renommée internationale. Les heures sombres ne sont pas absentes de ce périple intérieur, lorsque celui qui rêvait de servir comme aviateur évoque à demi-mots auprès de sa marraine de guerre les risques considérables pris par le « conducteur Ravel » sur le front, ou lorsque l’accablent plus tard l’épuisement et la maladie.

Sauvegarder la mémoire de Ravel

Bien éloignée des corpus généralement recherchés par les institutions, cette collection présente une réelle cohérence. Elle vient enrichir les collections nationales, contribuant ainsi à la patrimonialisation de la mémoire de ce compositeur phare de la musique française du XXe siècle, dont les archives musicales sont aujourd’hui largement dispersées de par le monde. La collection de la BnF comporte dix-sept autographes musicaux (parmi lesquels quelques pièces fameuses comme la Sonatine, La Valse et le célèbre Bolero), auxquels s’ajoutent les archives et la bibliothèque musicale provenant du Belvédère, la maison de Ravel à Montfort-l’Amaury. Elle figure à ce titre parmi les plus importantes collections publiques sur le compositeur, aux côtés de celles des universités nord-américaines d’Austin (Texas), Yale (Connecticut) et Evanston (Illinois) et des archives princières de Monaco. Elle devrait sans nul doute continuer à s’enrichir des futures acquisitions réalisées par les Amis de Maurice Ravel grâce à ses donateurs et au mécénat de la Fondation La Marck, acquisitions que l’association souhaite céder à la BnF.

Catherine Vallet-Collot

Article paru dans Chroniques n° 96, janvier- mars 2023