René Robert, la poétique du flamenco

Photographe franco-suisse, René Robert (1936-2022) a immortalisé les plus grands artistes de flamenco pendant près de cinquante ans. Le fonds qu’il a donné à la BnF en 2017 restitue la beauté et l’intensité d’un art encore trop peu connu en France.
Aurora Vargas, spectacle à La Puebla de Cazalla, XIXe Reunión de Cante Jondo, 1987. BnF, Arts du spectacle - Photo René Robert

Initialement photographe publicitaire, René Robert découvre par hasard le flamenco au cours des années 1960 au Catalan, un tablao parisien de la Rive gauche fréquenté par des artistes espagnols. Fasciné par les danseurs Manolo Marìn et Nieves la Pimienta, il commence à les photographier. De 1967 à 2016, il suit les plus grands musiciens et danseurs de flamenco, en Espagne et surtout en France, tels Paco de Lucía, Camarón de la Isla, Aurora Vargas et Belén Maya. Il les photographie pendant les spectacles, en privilégiant le noir et blanc, dont la force expressive sert l’esthétique du flamenco. Constituée de plusieurs milliers de négatifs, planches-contacts et tirages, la majeure partie de sa collection a pris place au sein du département des Arts du spectacle aux côtés de nombreux ensembles de photographies et d’archives dédiés à la danse et au flamenco, comme le fonds de La Argentina. Ses photographies hors spectacle sont quant à elles entrées au département des Estampes et de la photographie. René Robert a présenté son travail dans plusieurs expositions et publié La Rage & la grâce : les flamencos en 2001. L’édition 2023 du Festival de flamenco de Nîmes, dont la BnF est partenaire, lui rend hommage, un an après sa mort, à travers une projection de ses photographies au théâtre Bernadette Lafont et une conférence.

 

Un portraitiste hors norme

Par son choix de « se trouver là », René Robert crée un art du portrait inédit dans le flamenco. Il épingle des poses, accumule des tableaux vivants, revisite le portrait à travers un inventaire inépuisable de propositions. L’invention vient du cadrage et nous éloigne paradoxalement de la peinture. Il cultive les hors-champs, qu’il obtient par le choix de plans serrés, le déploiement subtil d’une palette de noirs ou d’un jeu chromatique de gris. Le hors cadre semble parfois ramasser l’énergie vitale saisie, voire la condenser et la libérer. Certains visages ont la force de masques. Ils incarnent l’esprit subversif du flamenco : se laisser atteindre, toucher, transformer, voire transfigurer par la libération à peine policée de l’énergie vitale. En portraitiste hors norme, René Robert rejoint le panthéon des grands mythologues.

Un regard intense et intime

Chaque photographie devient un manifeste du flamenco. Elle scelle les promesses émotionnelles des futurs spectacles. Elle rappelle l’intensité de l’instant vécu et la fragilité du rituel dont se joue le spectacle. René Robert déjoue les contraintes de la photographie de scène. Son regard dépouille de toute théâtralité la rhétorique du visuel si fascinante dans le flamenco. Il immortalise les transfigurations musicales de chaque artiste et en propose une traduction sensible et intime. Il invite à une écoute incarnée où résonne l’ivresse partagée du sonore.

Manon Dardenne et Corinne Frayssinet Savy

Article paru dans Chroniques n° 96, janvier- mars 2023