Sandrine Martin, résidente BD

Lauréate 2022 de la résidence bande dessinée de la Fondation Simone et Cino Del Duca – Institut de France, l’autrice et illustratrice Sandrine Martin a passé plusieurs mois à la BnF. Elle y a fait des recherches pour nourrir son projet en cours, le récit d’émancipation d’une femme pendant la Seconde Guerre mondiale. Rencontre.

 
Planche extraite de la bande dessinée à laquelle travaille l’autrice - Sandrine Martin

 

Sandrine Martin est venue avec le carnet en moleskine rouge qui l’accompagne dans la préparation de sa prochaine bande dessinée. Au fil des pages, on voit naître des esquisses de visages féminins tracées au crayon rouge, des scènes de vie de famille – une jeune fille qui pose à côté de ceux qu’on devine être ses parents, un mariage, une mère qui allaite son nouveau-né. Autant d’étapes dans la vie d’une femme que la dessinatrice a choisi de retracer en s’inspirant de celles de son arrière-grand-mère et de sa grand-mère. « Le point de départ de ce livre, c’est un texte que j’ai écrit sur la naissance de ma fille, sur l’occupation psychologique que représentent la grossesse puis la venue au monde d’un enfant. J’ai transformé cette trame initiale en la transposant dans la période de l’Occupation. » Il a fallu pour cela puiser aux sources de l’histoire familiale, celle de ses aïeux maternels – cordonniers parisiens –, et de la grande histoire, celle qui est déposée à la Bibliothèque.

Composer avec la réalité historique

Dans les collections de la BnF, Sandrine Martin a trouvé matière à répondre à certaines de ses questions. Comment se passait une césarienne au début des années 1940 ? À quoi ressemblaient à l’époque un berceau, des panneaux de signalisation ou une imprimerie ? « Mon héroïne vit au-dessus de l’imprimerie familiale dans laquelle travaille une femme membre d’un réseau de résistance. Pour nourrir cet aspect du récit, je me suis intéressée à la création des éditions de Minuit fondées en 1941 par Jean Bruller, dit Vercors, et Pierre de Lescure. J’ai lu des ouvrages sur le sujet et j’ai eu accès, au département des Estampes et de la photographie et à la Réserve des livres rares, à quantité d’affiches, de tracts, de documents de la vie quotidienne. » Sa démarche vise moins l’exactitude historique que la confrontation de deux imaginaires – le sien, intime et familial, et celui, collectif, que charrie la période de l’Occupation. Dans les premières planches de sa bande dessinée, cette collusion se lit à travers la palette de couleurs adoptée. À rebours des teintes sombres auxquelles les films sur la Seconde Guerre mondiale nous ont habitués, du Dernier métro au Labyrinthe de Pan, en passant par Monsieur Klein, ses crayons de couleurs explorent toutes les nuances de rose, rouge, bleu et violet – reflets de l’intensité des émotions du personnage principal.

Paysages émotionnels

Car chez Sandrine Martin, il est beaucoup question d’émotions. « J’ai découvert à la BnF que la matérialité des documents d’époque permet, d’une certaine manière, d’entrer en contact avec ceux qui les ont touchés avant nous. Ces séances dans la salle de lecture des Estampes ont été des moments très forts en émotion », confie-t-elle. Dans sa dernière bande dessinée, Émotive. Voyages à bord du vaisseau mental, publiée chez Casterman, elle invitait avec humour et finesse son alter ego à interroger son paysage émotionnel. En racontant l’histoire d’une femme qui s’affranchit de son milieu social et familial pour s’autoriser à aimer et créer librement, son prochain livre promet d’explorer encore d’autres facettes de la psyché féminine.

Mélanie Leroy-Terquem

Article paru dans Chroniques n° 99, janvier-mars 2024