Sur la piste des animaux chinois

Axel Le Roy travaille à une thèse de doctorat sur l’histoire des livres et des savoirs naturalistes à l’époque moderne, à travers l’analyse de la construction des savoirs sur les animaux chinois. Chercheur associé - BnF accueilli au département Sciences et techniques, il a exploré les collections d’histoire naturelle de la BnF pendant trois ans. Retour sur un projet au croisement des humanités numériques et de l’histoire des pratiques savantes.

Au XVIIIe siècle, les naturalistes européens comme Buffon ou Linné ont décrit dans leurs ouvrages des animaux exotiques présents dans des contrées où ils n’avaient jamais mis les pieds. Comment ces savants ont-ils accumulé des connaissances sur la faune du bout du monde ? Cette question guide le travail de recherche d’Axel Le Roy.
 

Au commencement, le poisson rouge

Après une initiation au mandarin au cours de ses études secondaires, Axel Le Roy entreprend, parallèlement à un cursus d’histoire, un diplôme de chinois à l’université d’Aix-Marseille. C’est là qu’il découvre la littérature sur la Chine des missionnaires des XVIIe et XVIIIe siècles, avec la Description de l’empire de la Chine du père Du Halde, publiée en 1735, ou encore les Lettres édifiantes et curieuses, une collection de missives envoyées par les jésuites partis en mission. La correspondance du père d’Incarville sur la flore chinoise fait l’objet de son premier mémoire de master à Aix-en-Provence. De la flore à la faune, il n’y a qu’un pas, franchi avec un second mémoire consacré à la circulation des connaissances sur le poisson rouge : observé par les missionnaires en Chine, il est nommé Carassius auratus par Linné en 1758. « Outre le côté amusant du sujet, le cas du poisson rouge est intéressant pour comprendre comment les informations parviennent aux naturalistes européens depuis la Chine, explique Axel Le Roy. Il révèle tout un réseau d’échanges savants et de pratiques de collecte : j’ai par exemple consulté au Muséum d’histoire naturelle des spécimens de poissons rouges de Chine conservés sous forme d’herbier, à plat entre des feuilles de papier. »

Axel Le Roy - Photo Anthony Voisin


Étudier les interactions entre le monde chinois et l’Europe des naturalistes

En 2017, Axel Le Roy s’inscrit au master d’humanités numériques de l’École des chartes, où il s’intéresse notamment aux réseaux savants de l’Académie royale des sciences aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les outils numériques ouvrent de nouvelles voies à ses recherches sur les animaux chinois. C’est ainsi que, dans le cadre de sa thèse, il élabore un corpus composé à la fois de textes de naturalistes européens, dans lesquels il peut retrouver ce qui concerne la Chine, et d’écrits que des voyageurs, des missionnaires ou marchands publient à la même époque sur la Chine, dans lesquels il va chercher ce qui concerne les animaux. « Étudier la circulation des savoirs sur un objet comme les animaux chinois, ça implique de chercher partout de petites choses », souligne-t-il. En tant que chercheur associé au département Sciences et techniques, il a pu explorer les collections conservées à la BnF, proposer de numériser plus d’une centaine d’ouvrages d’histoire naturelle aujourd’hui consultables dans Gallica, et faire restaurer plusieurs livres sur la Chine comme les Nouveaux mémoires sur l’état présent de la Chine du père Le Comte.

Représentation de pangolin extraite de Usages du Siam, recueil de gouaches aquarellées de la fin du XVIIe siècle conservé au département des Estampes et de la photographie - BnF


Des outils numériques pour la fouille de texte

Pour mener ses recherches à bien, Axel Le Roy a mis une partie de son corpus au format XML-TEI, largement utilisé dans le champ des humanités numériques. Il a ainsi exploité des transcriptions fournies par d’autres chercheurs et des textes anciens dont il a créé la première version numérique – mémoires publiés dans des revues scientifiques, actes d’académies, ou encore archives comme celles du marchand suisse Charles Constant qui a voyagé en Chine à la fin du XVIIIe siècle, conservées à la bibliothèque municipale de Genève. « Cette étape de transformation des données est très chronophage, indique le jeune chercheur qui aimerait pouvoir étendre davantage son corpus d’études. Mon rêve, ce serait d’avoir l’Histoire naturelle des poissons de Cuvier en TEI ! »
Une fois sa base de données constituée, Axel Le Roy peut l’exploiter avec des fonctionnalités classiques de recherche plein texte ou des outils plus élaborés mis à disposition par l’ObTIC, son équipe de recherche à Sorbonne Université. Il repère ainsi les reprises, adaptations et transformations qui permettent de retracer la circulation des savoirs en identifiant les acteurs et les ouvrages fondamentaux, en mesurant la place des textes chinois traduits dans les textes européens. Cet intérêt pour la mise en lien et le partage des connaissances, qui sous-tend le parcours d’Axel Le Roy, a pris à l’automne dernier une autre forme : il a co-organisé, à la BnF et à la Maison de la recherche de Sorbonne Université, un colloque réunissant une douzaine de jeunes chercheuses et chercheurs spécialisés dans la construction des savoirs sur la Chine. Historiens, ethnographes, linguistes ont pu y exposer leurs travaux en cours : « Une belle manière de finir ces trois riches années passées à la BnF ! »

Mélanie Leroy-Terquem

Article paru dans Chroniques n° 96, janvier- mars 2023