À travers la bibliothèque en ligne – Verbatims

Alors que Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF et de ses partenaires, s’apprête à fêter en mars ses 25 ans d’existence et son dix-millionième document, Chroniques invite ses lecteurs à un tour d’horizon des outils proposés pour explorer les collections de la Bibliothèque – depuis Gallica jusqu’à RetroNews, en passant par les Essentiels de la BnF et la Banque d’images. C’est aussi l’occasion de donner la parole à leurs utilisateurs : chercheuse, iconographe, romancier, enseignante, généalogiste ou encore scénariste de jeu vidéo, tous racontent comment ils voyagent dans les ressources en ligne, ce qu’ils y cherchent et les trouvailles qu’ils y font.

Jehanne Rousseau

À la tête du studio de production de jeux vidéo Spiders, Jehanne Rousseau participe également à l’écriture des scénarios. Pour préparer Steelrising, sorti en septembre 2022, elle s’est inspirée des collections iconographiques de Gallica.

 

« Steelrising est un jeu de rôle orienté action qui se déroule à Paris à l’été 1789. Il propose une version dystopique de l’Histoire, dans laquelle Louis XVI envoie une armée d’automates réprimer la Révolution. Le joueur ou la joueuse y incarne Aegis, une femme automate qui se trouve amenée à parcourir le Paris révolutionnaire, à travers les Invalides, le quartier du Châtelet, le pont-au-change, la Bastille. Nous nous sommes nourris de très nombreux dessins, estampes et cartes trouvés dans Gallica pour retranscrire l’ambiance des faubourgs, comprendre comment on circulait alors dans Paris, reconstituer des monuments aujourd’hui disparus. Cette iconographie a notamment servi de référence aux artistes qui font les esquisses en 2D et la modélisation des décors en 3D. Steelrising n’a pas la prétention de raconter l’Histoire ou d’approcher la vérité historique : l’enjeu est plutôt pour nous de donner vie au Paris de l’époque, à ses personnages, aux tensions politiques qui les traversent. Ce n’est pas la première fois que l’on fouille dans Gallica pour la préparation d’un jeu : dans Greedfall, dont l’univers fantasy s’inspire de l’Europe du XVIIe siècle, une partie de l’intrigue fait intervenir des personnages de marins. Pour donner une cohérence aux dialogues et leur apporter une saveur historique, je me suis beaucoup inspirée du Code des armées navales, publié à la fin du XVIIe siècle et disponible dans Gallica. Une mine ! »

Séverine Albert

Séverine Albert est professeure de lettres et d’histoire-géographie au lycée professionnel Ampère, à Morsang-sur-Orge, dans l’Essonne. Elle utilise les ressources numériques de la BnF en classe avec ses élèves de première et terminale, à qui elle fait découvrir depuis quelques années le site François-Mitterrand.

 

« Je travaille souvent en classe avec les expositions virtuelles de la BnF, qui sont d’une richesse incroyable : j’utilise beaucoup celle sur le jeu, qui correspond à la thématique au programme des classes de terminale, ou celle, plus récente, sur Baudelaire. À l’aide d’un questionnaire que je leur fournis, les élèves font des recherches en classe, dans la salle informatique. Comme ils sont très sensibles à l’image, et que ces sites sont bien illustrés et faciles à utiliser, ça fonctionne. Je prolonge ce travail avec certaines classes sur le site François-Mitterrand de la BnF, pour visiter les expositions (Tolkien en 2019, Baudelaire, la modernité mélancolique en 2021) et pour participer à des ateliers proposés par le service Éducation artistique et culturelle de la Bibliothèque autour de ces expositions ou d’un sujet donné, comme les fake news. Les élèves reçoivent à cette occasion un pass annuel. Ils se rendent compte que ce lieu grandiose, qu’ils pensaient « réservé aux intellos », est aussi un espace qu’ils peuvent s’approprier, à 18 minutes de chez eux en train. On cherche à leur montrer qu’on n’a pas besoin d’avoir un bac plus quinze pour aller à la BnF. L’an dernier, des élèves y sont ensuite retournés pour réviser le bac, et là je me suis dit que c’était gagné ! »

Maud Lomnitz

Maud Lomnitz est iconographe et documentaliste au sein de l’agence XY Zèbre. Elle explore régulièrement les fonds de la BnF pour des projets audiovisuels ou multimédias de maisons d’édition ou de marques de luxe.

 

« En tant qu’iconographe, mon rôle est de trouver les sources qui répondent le mieux aux attentes des commanditaires avec lesquels je travaille – les commissaires d’exposition, les éditeurs, les réalisateurs. Avec les agences photo et les centres d’archives, les collections de la BnF font partie des incontournables. Je fonctionne un peu comme un détective, j’adore fouiller dans Gallica, dans le Catalogue ou dans la Banque d’images. Ce que je trouve fascinant, c’est la diversité des sujets et des types de documents conservés à la BnF : une vraie mine d’or !

Récemment, un projet d’exposition permanente dans l’ancienne manufacture des tabacs de Morlaix m’a amenée à commander beaucoup d’images à la Bibliothèque : des gravures représentant le bâtiment au cours de l’histoire, des planches sur le tabac dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, mais aussi des extraits de la Cosmographie universelle d’André Thevet, des affiches de publicité pour des cigarettes, des pages de journaux anciens.

Il m’arrive aussi d’utiliser les services en ligne offerts aux détenteurs de carte annuelle, comme Europresse, qui m’a beaucoup servi pour préparer le documentaire 13 novembre : l’audience est ouverte, diffusé sur France 5 en septembre 2021. On était alors en plein confinement, et j’ai pu faire un gros travail de repérage dans la presse pour reconstituer l’enquête policière et la procédure judiciaire qui ont précédé le procès. »

Tony Neulat

Passionné de généalogie depuis l’adolescence, Tony Neulat partage son expérience et ses conseils en la matière, à travers des formations et des guides comme Gallica et RetroNews : deux eldorados généalogiques, publié en 2021.

 

« Je me suis intéressé très tôt à la généalogie et je me suis vite pris au jeu : voir son arbre grandir, collectionner les ancêtres, remplir les cases vides avec des noms, c’est grisant ! J’ai voulu ensuite en savoir plus sur les personnes derrière ces noms, reconstituer leur vie. C’est comme ça que j’ai découvert Gallica, en consultant les annuaires, les revues de sociétés savantes, le Journal officiel, les documents relatifs à la noblesse, ou encore les cartes qui permettent d’identifier les lieux où vivaient nos ancêtres. Je compile mes découvertes dans des albums qui nourrissent la mémoire collective familiale.

La presse locale et nationale éclaire par exemple certains événements : un divorce prononcé en 1930 prend une autre tournure quand j’apprends dans L’Écho d’Alger que, un an auparavant, mon arrière-arrière-grand-père avait tiré un coup de revolver sur son épouse (sans l’atteindre !). On peut aussi y préciser des légendes familiales : mon grand-père m’avait raconté que, quand il avait onze ans, pendant la Débâcle, il était parti de Reims à vélo, avec sa sœur et sa cousine, pour rejoindre Nevers. Au début, sa mère les suivait en train, puis les a perdus de vue pendant plusieurs semaines. J’ai pu retrouver dans Le Figaro un avis de recherche passé par mon arrière-grand-mère. Ce genre de trouvailles était impossible il y a 15 ans : la numérisation des collections et leur indexation plein texte ont constitué une véritable révolution pour la recherche généalogique. »

Miguel Bonnefoy

Dans son dernier roman, L’Inventeur, paru il y a quelques mois aux éditions Rivages, Miguel Bonnefoy raconte la vie d’un savant oublié, Augustin Mouchot (1825-1912), qui a conçu la première « machine » à énergie solaire. C’est dans Gallica qu’il a découvert son parcours.

 

« Je garde un souvenir magnifique de mes recherches sur Gallica pour l’écriture de ce roman. J’ai surtout travaillé sur la presse ancienne. Grâce à la recherche avancée, on peut focaliser ses requêtes sur un support donné ou sur des bornes chronologiques précises pour éviter de se retrouver perdu dans un océan de documents. Par exemple, à l’époque d’Augustin Mouchot, a existé un peintre, Louis Mouchot, beaucoup plus connu. Mes premières recherches faisaient donc apparaître de nombreux articles sur ses expositions… J’ai dû apprendre à resserrer, à affiner mes critères de recherche. Et puis il y a les trouvailles ! Un jour en naviguant sur Gallica, je suis tombé sur l’article d’un journaliste qui avait eu l’idée de retrouver la trace de scientifiques pour qui l’arrivée du charbon avait sonné le déclin de leurs carrières. Il part notamment à la recherche d’Augustin Mouchot, pionnier de l’énergie solaire, et apprend qu’il vit rue de Dantzig, dans le quinzième arrondissement de Paris. Il s’y rend. Et là, il va découvrir l’histoire sinistre de la fin de vie de l’inventeur, séquestré pendant des années par une femme très belliqueuse. Quand celle-ci apparaît, elle lui enjoint de quitter les lieux. En partant, il jette un coup d’œil sur la maison et aperçoit à la fenêtre le vieil homme, comme une statue de cire, avec son petit bonnet. En lisant cela, je me suis dit : ”Voilà la fin de mon livre !” Et c’est grâce à Gallica, parce que je n’aurais jamais imaginé une fin pareille, complètement invraisemblable ! »

Florence Naugrette

Professeure de littérature française à Sorbonne Université, Florence Naugrette est l’autrice de Juliette Drouet, compagne du siècle publié chez Flammarion. Cette biographie s’appuie notamment sur l’édition des milliers de lettres qu’elle a écrites à Victor Hugo.

Lire l’entretien complet

 

« La BnF conserve environ 17 000 lettres sur les 22 000 que Juliette Drouet a envoyées à Victor Hugo, qui constituent une sorte de journal épistolaire poursuivi de 1833 à 1883, année de sa mort. Avec une équipe interuniversitaire d’une cinquantaine de personnes, nous avons créé à partir de ce fonds un site web en accès libre, www.juliettedrouet.org, qui propose une édition savante des lettres de Juliette, transcrites, annotées, que nous publions progressivement. Lorsque nous avons débuté ce projet en 2006, le fonds n’était pas encore numérisé et nous avons travaillé à partir de cédéroms qui contenaient des copies des microfilms de ces lettres. Elles sont aujourd’hui en ligne sur le site Gallica, que j’ai par a i l l e u r s b e a u c o u p u t i l i s é p o u r consulter la presse ancienne, dans le cadre de l’écriture de ma biographie de Juliette Drouet. C’est par exemple très utile pour trouver les programmes des théâtres soir après soir : Juliette Drouet et Victor Hugo sortaient beaucoup et suivaient de près l’actualité théâtrale… Cela fait trente ans que je suis enseignante-chercheuse et, autrefois, j’allais patiemment regarder la presse sur microfilms à la BN Richelieu. Désormais je trouve ce que je cherche en deux minutes depuis mon bureau, chez moi. C’est d’un confort extraordinaire ! »

Voir aussi « Les milles et une vies des collections numérisées »

Propos recueillis par Mélanie Leroy-Terquem et Sylvie Lisiecki
Illustrations © Claire ardenti / BnF

Article paru dans Chroniques n° 96, janvier- mars 2023