Un trésor de la BnF, la coupe d’Arcésilas

À la faveur du retour sur le site Richelieu de la collection d’objets du département des Monnaies, médailles et antiques, Chroniques propose de redécouvrir l’un de ses trésors, un vase longtemps attribué à la cité grecque de Cyrène, située aujourd’hui en Libye. La coupe d’Arcésilas sera exposée dans le futur musée du site Richelieu.

 

Une surprise attend celui que séduit d’abord l’élégance des frises ornementales qui tapissent extérieurement la vasque. Car une ambitieuse scène historique s’étale au bassin de cette coupe fabriquée en Laconie (Grèce). Le caractère unique de son sujet comme l’attribution, fautive mais tenace, de la série à laquelle elle appartient à la cité de Cyrène (Libye) ont contribué à la célébrité de la coupe d’Arcésilas.

Sur l’agora de Cyrène, vers 560 av. J.-C.

Sous un dais, Arcésilas, nommé par une inscription peinte, supervise le traitement de la cueillette du silphium, une plante de la famille des ombellifères dont les Anciens faisaient les usages les plus variés, culinaires aussi bien que médicinaux, mais qui, rétive à la culture, ne poussait que dans la steppe libyenne. De cette panacée, les rois de la dynastie grecque des Battiades, qui règne sur Cyrène du VIIe au Ve siècle av. J.-C., ont fait leur emblème et une source de revenus, en érigeant en monopole son exploitation commerciale au détriment des indigènes. Sous le regard de celui dans lequel on reconnaît le roi Arcésilas II, les tubercules de silphium sont répartis en ballots de poids constant à l’aide d’une balance, et confiés au gardien des caves du palais, astucieusement rendues par l’exergue qui divise le médaillon. Alentour, un véritable bestiaire proclame le goût animalier des peintres laconiens. Mais pas seulement. L’analogie qu’il contribue à établir avec l’iconographie égyptienne de la pesée des âmes a frappé les commentateurs : le pharaon Amasis était un puissant soutien au pouvoir menacé d’Arcésilas II dit le dur, confronté à la fois à l’hostilité des natifs et à la sécession de l’aristocratie. S’agit-il d’une charge contre un monarque âpre au gain, soutenu de l’extérieur mais haï de son peuple ? Ou au contraire d’une image de propagande célébrant le pouvoir royal par la mise en scène de sa richesse économique et l’allusion à l’allié égyptien ? C’est là quoi qu’il en soit un document capital sur le commerce antique en Méditerranée.

Louise Détrez et la coupe d’Arcésilas © Béatrice Lucchese / BnF

Un chef-d’œuvre laconien

Parce que le décor du vase est planté à Cyrène, c’est à ce foyer que l’on a d’abord attribué la production de ces coupes à figures noires sur fond blanc découvertes surtout en Italie. Faut-il lui préférer le site voisin de Naucratis, comptoir grec dynamique en terre égyptienne ? À moins que le recours à l’alphabet laconien ne pointe plutôt un centre métropolitain tel que Sparte ou Sicyone ? Les vases qualifiés à tort de « cyrénéens » voire de « lacono-cyrénéens » sont définitivement rendus à l’artisanat laconien par les fouilles anglaises menées à Sparte au début du xxe siècle : un matériel abondant y atteste une production locale durable.

Un vase voyageur

Actif à Sparte, donc, l’anonyme Pei­ntre d’Arcésilas, baptisé d’après son chef- d’œuvre, a-t-il voyagé pour observer son sujet exotique ? Peut-être. Mais que dire de l’itinéraire accompli par la coupe elle-même : produite en Laconie, transportée par un navire probablement samien jusqu’en Étrurie (pour sceller une entente commerciale ?), découverte vers 1832 à Vulci (Italie) dans la tombe d’un aristocrate étrusque, elle gagne bien vite l’une des plus fameuses collections privées d’antiques jamais formées, celle d’Edme-Antoine Durand (1768-1835), avant que Désiré Raoul-Rochette, conservateur du cabinet des Médailles, n’en fasse l’acquisition après le décès de l’amateur, en 1836.

Louise Détrez

Article paru dans Chroniques n° 93, janvier-mars 2021