Comment le jeu vidéo représente le passé

Avec plus de 17 000 jeux, la BnF possède l’une des plus importantes collections patrimoniales de jeux vidéo. Pour mettre en valeur ce fonds, Romain Vincent, chercheur associé au département Son, vidéo, multimédia, prend la manette lors de play-conférences publiques et analyse, en compagnie d’historiens, la représentation du passé dans l’univers vidéoludique. Entretien paru dans Chroniques n° 86 – Septembre-décembre 2019
 

Comment est née l’idée d’organiser des play-conférences à la BnF ?

Le fait de commenter un jeu vidéo en même temps que l’on y joue devant un public est un format populaire dans le domaine des game studies. Il a fait ses preuves avec des chercheurs comme Mathieu Triclot, qui aborde le jeu du point de vue de la philosophie, ou Alexis Blanchet, qui s’intéresse à l’histoire culturelle et économique de l’industrie vidéoludique. De mon côté, j’ai depuis 2012 une chaîne YouTube sur laquelle j’analyse les représentations du passé dans le jeu vidéo, et j’avais envie d’aller plus loin en invitant des historiens spécialistes de périodes données. La play-conférence est un dispositif idéal pour ce type d’échange, parce qu’elle permet de montrer le jeu vidéo de façon approfondie, de prendre le temps de l’analyser du point de vue historique, mais aussi d’interagir avec le public – qu’il s’agisse de joueurs avertis, de néophytes ou d’érudits.


Comment choisissez-vous les jeux qui vont faire l’objet d’une play-conférence ?

J’essaie de présenter des jeux intéressants à regarder pour le public, dans lesquels l’action ou les combats ne sont pas trop présents. Des jeux en monde ouvert comme Assassin’s Creed Odyssey, qui prend place dans la Grèce antique du Ve siècle avant J.-C., ou comme A Plague Tale : Innocence, qui se passe aux temps de la Peste noire du XIVe siècle, sont bien adaptés à l’exercice. Ils proposent ce qu’on appelle une « narration environnementale », au sens où le fil de l’histoire se déroule à travers le décor ou l’univers graphique : ce sont des jeux où l’on peut se promener librement, ce qui laisse le temps aux intervenants de prendre la parole et d’analyser ce qu’ils ont sous les yeux. Je privilégie aussi des jeux dans lesquels le texte est limité, pour éviter d’avoir à lire de longs dialogues entre les personnages, par exemple.


Vous êtes gamer et professeur d’histoire-géographie dans le secondaire, comment utilisez-vous le jeu vidéo dans votre pratique d’enseignement ?

Il m’arrive de faire jouer les élèves : par exemple, le jeu Strong Hold, qui est un jeu de stratégie se déroulant à l’époque médiévale, permet d’aborder avec les classes de cinquième le chapitre sur l’ordre seigneurial au programme d’histoire. J’utilise aussi en classe des extraits vidéo ou des captures d’écran, dans le cadre de l’éducation aux médias. Ces exercices ont leurs limites, parce qu’ils sont souvent difficiles à appréhender pour la plupart des élèves. Ils permettent néanmoins de leur montrer comment le jeu vidéo, comme les autres types de médias, s’empare de la réalité historique pour la retranscrire ou la déformer, et comment il en dit souvent plus sur notre époque que sur l’époque qu’il représente. C’est là un point que les play-conférences permettent d’explorer en détail : la vision très noire de la Révolution française portée par We. The Revolution, qui a fait l’objet d’une play-conférence à la BnF en mai dernier, en est un bon exemple. Les deux jeux vidéo italiens que nous aborderons en octobre, et qui prennent place pendant la fin du régime mussolinien pour le premier et pendant l’Italie des années 1970 pour le second, devraient à cet égard être riches d’enseignements !


Propos recueillis par Mélanie Leroy-Terquem

 

Play-conférence du 1er octobre 2019 :
Jeux vidéo indépendants italiens, avec Venti Mesi, plongée dans la fin du régime mussolinien