Deux écrivains, Pascal Bacqué et Thomas Reverdy, parlent de Tolkien

L’œuvre de Tolkien continue de marquer les imaginaires et celui des écrivains en particulier. Chroniques a rencontré deux auteurs qui évoquent ici leur rapport à son œuvre et à son monde inventé.
 
 

Pascal Bacqué

Poète, écrivain, talmudiste, Pascal Bacqué a publié en 2018 le premier tome de La Guerre de la Terre et des hommes (Massot Littérature, Paris).

« J’ai découvert tardivement l’œuvre de Tolkien, il y a une quinzaine d’années. Comme je pratiquais l’écriture poétique, quand il est devenu nécessaire pour moi d’écrire en prose, je suis allé vers Tolkien presque comme vers une épreuve obligée, celle d’une simplification de l’écriture qu’impliquait le passage à la prose. Celle de Tolkien est très efficace ; il sait instiller les traits épiques, poétiques, en les domptant par du storytelling à l’anglaise. Ce qui me touche dans cette œuvre, c’est sa façon, par et malgré tout son décor mythographique, de poser la question de l’homme dans son instabilité, dans son caractère profondément incertain – de l’avidité des nains à l’orgueil des elfes, de la faiblesse des « hommes » à la bestialité des orques… ou à la candeur salvatrice des hobbits. Il est certain que l’époque où écrivait Tolkien, à laquelle la nôtre ressemble par certains aspects, demandait (ou redemandait) ce mythe de l’incertitude, quant à nos fins et notre sens… C’est donc une œuvre d’un archaïsme très moderne. D’autre part, tout ce récit repose sur le trait caractéristique de la mythologie, celui d’une tâche impossible, mais impérieuse. C’est le ressort dramatique absolu : la guerre de l’impossible et de l’inflexible. Tolkien a eu le bon goût de traiter le courage en demi-teintes. »

 

Thomas Reverdy

Romancier, Thomas Reverdy a publié en 2018 L’hiver du mécontentement (Flammarion, Paris).

« J’ai lu Le Hobbit quand j’étais enfant. Je devais avoir 9 ans, c’est mon plus ancien souvenir de lecture. J’ai vécu pour la première fois l’expérience du fait qu’un bon livre transporte avec lui non seulement une histoire mais un univers. Ensuite il a dû se passer un an ou deux avant que j’aborde Le Seigneur des Anneaux. L’ambiance est plus sombre, on a peur pour le héros, l’ennemi est aussi à l’intérieur de soi. Le livre m’a ouvert à la fantasy, aux jeux de rôles… Tolkien crée tout un monde et invite à inventer d’autres histoires, d’autres personnages, à partir des cartes qu’il dessine, des langues qu’il élabore. Je l’ai relu avec un très grand plaisir il y a une quinzaine d’années, quand il a été réédité chez Christian Bourgois. J’ai été sensible à d’autres aspects du livre par rapport à ma lecture d’adolescent, aux descriptions de paysages, magnifiques, mais aussi à sa dimension littéraire. Il y a le récit d’aventures, la quête, mais aussi de la romance, de l’élégie, les luttes de pouvoir, la tragédie… Même si l’œuvre est considérée comme faisant partie de la pop culture, c’est avant tout un grand texte. Tolkien est la matrice de toute la fantasy qui a été produite après. Il a forgé le genre. Je pense que beaucoup d’auteurs contemporains ont été nourris par son œuvre même s’ils n’écrivent pas de fantasy. Très peu d’écrivains parviennent à faire exister leurs personnages de fiction dans la réalité, à l’instar de celui d’Anna Karénine par exemple. Tolkien est de ceux-là. »

Témoignages parus dans Chroniques, n°86 – Septembre-décembre 2019.