Faut-il porter des gants blancs pour manipuler des ouvrages précieux ?

Cette question fréquemment posée par les lecteurs et visiteurs de la Bibliothèque nationale de France est aussi celle qui suscite le plus de débat ! Pourtant, nos experts sont formels : contrairement à une idée répandue, l’usage de gants pour manipuler des ouvrages présente des risques majeurs et est fortement déconseillé, sauf dans quelques cas très spécifiques… et rares. 

 

Lecteur de la Réserve des livres rares © BnF / Emmanuel Nguyen Ngoc

Risque n°1 : l’accident de manipulation 

On a souvent l’impression que les gants protègent les ouvrages du contact des mains. C’est faux ! Le plus grand danger que courent les livres et les archives anciennes n’est pas biologique mais mécanique : le feuillet peut se déchirer quand on le tourne, le parchemin est susceptible de craquer, les coutures de céder… Un ouvrage ancien est un ouvrage fragilisé par le vieillissement des matériaux qui le constituent. Pour le préserver de tout accident, il est impératif de le manipuler avec la plus grande vigilance et d’être attentif à toute résistance du matériau, même infime. 
Or porter des gants, qu’ils soient en coton ou en latex, supprime la sensibilité des doigts et de la main et compromet gravement ce diagnostic. Parce qu’ils rendent plus difficile la manipulation, les gants contraignent l’utilisateur à des mouvements dangereux, comme corner une page pour pouvoir la tourner. Manipuler un ouvrage à mains nues permet au contraire d’économiser les mouvements inutiles et de prévenir tout geste malheureux en évaluant la rigidité d’un parchemin, la sécheresse d’une couture, la fragilité d’un vélin. 
Moralité : une manipulation attentive avec des mains nues, propres et sèches, est la meilleure garantie pour préserver un ouvrage ancien.
Lecteur de la Réserve des livres rares © BnF / DR

 

Risque n°2 : la contagion 

Conservatrice manipulant un ouvrage de la Bibliothèque de l’Arsenal © BnF / Louisa Torres
Contrairement à une idée reçue, des mains propres et sèches ne présentent pas de réelle menace bactériologique. En revanche, des dépôts de poussière peuvent très facilement s’accrocher aux fibres des gants de coton et ainsi se transférer d’un ouvrage à un autre. Si ces poussières sont contaminées, elles sont susceptibles d’évoluer en moisissure… et porter des gants favorise leur propagation. Il est vrai que ce risque est très faible à la Bibliothèque nationale de France où les livres font l’objet de dépoussiérages réguliers et où le contrôle de l’hygrométrie en magasin empêche le développement de ces contaminations. Mais ce risque devient quasiment nul au contact de mains nues, lorsqu’on prend la précaution de se laver régulièrement les mains quand on consulte des documents. L’usage de gants chirurgicaux en latex, nitrile ou vinyle, susceptible de porter des éléments chimique étrangers sur des documents en matière naturelle ou organique comme les livres anciens, est également déconseillé.

Les exceptions à la règle

Il est de très rares cas où l’usage de gants blancs est toléré, lorsqu’il s’agit de protéger non pas les livres, mais… les lecteurs ! Certaines archives difficiles à décontaminer (bulles au plomb par exemple) ou rarement consultées peuvent en effet se trouver encore empoussiérées. Si cette poussière, vieille parfois de plusieurs siècles, n’est pas dangereuse en soi et ne compromet pas la préservation de ces documents, elle peut en revanche se révéler irritante ou urticante pour la peau ! Ces cas sont très rares, mais ils existent : l’usage de gants en coton ou en nitrile non poudré est alors préconisé, et le lecteur doit redoubler de vigilance dans sa manipulation pour compenser la perte de sensibilité des mains.

On utilise également parfois des gants au contact des reliures d’orfèvrerie. Mais même dans ce cas-là, il est conseillé de préférer des mains bien propres et bien sèches et d’éviter au maximum tout contact avec les éléments métalliques de ces reliures exceptionnelles.

 

Lecteur de la Réserve des Livres rares © BnF / Emmanuel Nguyen Ngoc

Et pour les autres types de documents ?

Les photographies : dans ce cas, l’important est de ne pas poser les doigts sur l’image, et de ne pas faire subir de contrainte mécanique à la photographie (flexion, pli ou pincement). Et pour bien tenir la photographie par la tranche, mieux vaut ne pas porter de gants !
Les objets : le port de gants à usage unique, en nitrile non poudré, est indispensable pour la manipulation des objets en bronze et alliages cuivreux, argent et bien sûr plomb, l’acidité de la peau pouvant entraîner le développement de corrosions et l’oxydation de l’argent. Il est également fortement conseillé pour les pierres, qu’il s’agisse des marbres, que les corps gras de la peau peuvent tacher ou des pierres fines et précieuses, là surtout pour une question d’esthétique et éviter d’inesthétiques empreintes digitales. 
 

«Avec des gants vous risquez toujours de déchirer des pages», rappelle Jean-Marc Chatelain, directeur de la Réserve des livres rares de la BnF
On l’aura compris, l’usage des gants blancs pour manipuler livres et manuscrits en bibliothèque n’est qu’un mythe – vraisemblablement hérité d’une culture visuelle véhiculée par le cinéma et la télévision , et toutes les études menées sur le sujet montrent que les gants sont bien plus souvent causes de dommages que garants de préservation. Croyez-en nos experts : laissez vos gants au vestiaire, et lavez-vous les mains avant d’entrer en salle de lecture !
 
Louisa Torres, Conservatrice, BnF | Bibliothèque de l’Arsenal