Jeroen Brouwers (1940-2022), grand styliste et polémiste de la littérature néerlandaise

Né en 1940 à Batavia, l’actuelle ville de Jakarta en Indonésie, Jeroen Brouwers est décédé le 11 mai à Maastricht, aux Pays-Bas, laissant une œuvre très riche dont le style et la teneur polémique ont profondément marqué la littérature néerlandaise contemporaine.
Auteur de romans où des éléments autobiographiques servent, de façon déformée, de matière à la création littéraire, il était également un essayiste et polémiste hors pair.
Son roman Rouge décanté (Bezonken rood, 1980), récit sur les camps d’internement japonais en Indonésie lors de la seconde guerre mondiale basé sur son propre vécu d’enfant, a suscité l’une des plus virulentes polémiques de l’histoire littéraire néerlandaise. L’écrivain Rudy Kousbroek lui reprochait d’avoir déformé et exagéré la réalité des camps japonais. Mais Jeroen Brouwers, se plaçant justement dans le domaine de la fiction, revendiquait le droit à la déformation, même pour des éléments historiques et autobiographiques.

 

Couverture de Cliënt E. Busken de Jeroen Brouwers - BnF
L’une des thématiques de l’œuvre de Brouwers est précisément l’infidélité de l’autobiographie. Pour lui, la littérature doit tout enregistrer, même « ce qui se déroule du côté nocturne de l’existence » : peurs, souvenirs, désirs… Et si cela n’a pas réellement eu lieu, cela a pourtant existé. Il disait que tout ce qu’il vivait, pensait, ressentait, il le considérait par le prisme de la littérature, le transformant en littérature.
L’angoisse, l’impermanence et la solitude sont des thématiques constantes dans son œuvre, déclinées dans des tonalités différentes. La mort y revient également souvent, et c’est sans doute l’un des fils conducteur de son écriture. Car c’est par l’écriture qu’il se sentait réellement exister. Sa propre mort ou celle de ses personnages est explorée dans la fiction, mais il s’est également documenté sur le suicide d’auteurs de langue néerlandaise, aboutissant à un gros ouvrage, De laatste deur (La dernière porte – non traduit en français), publié une première fois en 1983, puis en 2017 pour une édition revue et augmentée.
Plusieurs de ses romans ont été couronnés de prix littéraires néerlandais, à commencer par De zondvloed (Le déluge, 1988 – non traduit en français), faisant partie avec L’Éden englouti (Het verzonkene, 1979) et Rouge décanté de la « trilogie indonésienne ». Le bois (Het hout, 2014), sur le sadisme et les abus sexuels dans un internat catholique pour garçons, et son dernier roman, Cliënt E. Busken (2020 – non traduit en français), ont également été primés. Dans ce dernier, le vieux protagoniste Busken, atteint de dégénérescence et enfermé dans une institution psycho-gériatrique, mêle faits et fiction d’aujourd’hui et du passé dans un langage de moins en moins cohérent.
Après l’écriture de ce chef-d’œuvre à l’humour acerbe, Brouwers sentait que sa force créatrice s’était éteinte. Prochainement paraîtra en néerlandais son recueil autobiographique, Alles echt gebeurd (Tout s’est passé pour de vrai).
Pour l’ensemble de son œuvre, Brouwers a reçu en 1993 le prix Constantijn Huygens. En 2007, il a refusé le « Prix des lettres néerlandaises », critiquant notamment son organisation. Par la suite, le prestigieux prix P.C. Hooft ne lui a jamais été décerné.

À ce jour, quatre romans de Jeroen Brouwers ont été traduits en français :

  • L’Éden englouti (Het verzonkene, 1979),
  • Rouge décanté (Bezonken rood, 1980),
  • Jours blancs (Datumloze dagen, 2007),
  • Le bois (Het hout, 2014)
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