Simone Weil, la pensée en action

« Le malheur des autres est entré dans ma chair et dans mon âme ». Ces mots, ce sont ceux de Simone Weil (1909-1943), philosophe et militante, dont la compassion pour les exploités a tout autant marqué la pensée que les actions. Focus sur cette figure intellectuelle du XXe siècle dont la BnF conserve les manuscrits.

 

«entrer en contact avec la vie réelle»

Née à Paris en 1909 dans une famille d’origine juive, Simone Weil fait de brillantes études de philosophie : trois années d’hypokhâgne (durant lesquelles elle a pour professeur Alain), l’École normale supérieure, puis l’obtention de l’agrégation, à l’âge de 22 ans, qui lance sa carrière dans l’enseignement. L’engagement de Simone Weil commence tôt et fort : durant l’hiver 1932-1933, alors qu’elle est professeur de lycée au Puy-en-Velay, elle soutient les syndicats ouvriers dans un mouvement de grève, versant une partie de ses revenus à la caisse de Solidarité des mineurs. En 1934, elle suspend sa carrière d’enseignante pour travailler comme manœuvre chez Alsthom, puis chez Renault, afin « d’entrer en contact avec la vie réelle ». Cette expérience la conduit à faire la critique du travail aliéné et de la technique, à travers des textes publiés dans des revues d’extrême gauche, comme La Critique sociale ou La Révolution prolétarienne ; ainsi que dans un Journal d’usine qu’elle tient quotidiennement et qui donnera lieu à la parution en 1951 de La Condition ouvrière, dans la collection «Espoir» dirigée par Albert Camus chez Gallimard.

En 1936, elle s’engage aux côtés des Républicains dans la Guerre d’Espagne. Au cours d’un séjour d’un mois et demi auprès des combattants anarchistes de la colonne Durruti, elle est confrontée à la violence aveugle et aux exécutions arbitraires, ainsi qu’à l’impassibilité de certains révolutionnaires face au « sang inutilement versé », comme elle l’écrit dans une lettre à Georges Bernanos. Ce constat l’amène à prendre ses distances avec la révolution et ses propres idéaux anarchistes.

Simone Weil, La Grève des métallos, RES ZZ-MAT RD-73 - BnF, Manuscrits.

 

Mystique chrétienne et résistance

Portrait de Simone Weil - BnF, Estampes et photographie.

À partir de 1935, Simone Weil se rapproche progressivement du christianisme, à la faveur d’expériences et de réflexions mystiques, dont elle s’ouvre dans des lettres adressées au Père Joseph-Marie Perrin, qui seront publiées plus tard sous le titre Attente de Dieu (Éditions du Vieux Colombier, 1950). Comme pour son engagement politique radical, cette profonde démarche spirituelle – qui l’éloigne du rationalisme de son maître Alain – est caractérisée par une conscience aigüe du malheur des autres, qu’elle entend comme « une pulvérisation de l’âme par la brutalité mécanique des circonstances ».

Avec l’oppression sociale, la guerre constitue l’une des formes intenses de malheur dont Simone Weil fit l’expérience. En 1940, après l’annonce faisant de Paris une « ville ouverte », elle se réfugie avec sa famille à Marseille, où elle participe à des actions de résistance. L’année suivante, par l’entremise du père Perrin, elle s’installe quelques temps dans la ferme ardéchoise du philosophe Gustave Thibon, où elle exerce comme ouvrière agricole. En 1942, elle rejoint la France libre à Londres, où elle occupe un poste de rédactrice au Commissariat national à l’Intérieur (CNI). Atteinte de tuberculose, Simone Weil meurt quelques mois plus tard, le 24 août 1943, au sanatorium d’Ashford.

 

 

Les cahiers manuscrits de Simone Weil

Parmi les documents manuscrits de Simone Weil conservés par la BnF se trouvent 17 cahiers, rédigés entre 1933 et 1943. Témoins de l’immense curiosité de la philosophe, et d’une capacité de travail hors du commun, ces cahiers se distinguent d’emblée par le décor des plats et contreplats, que Simon Weil a essentiellement rempli de citations d’auteurs divers, dans toutes les langues : grec, sanskrit, hébreu… Dans les pages intérieures s’accumulent des notes et des citations, qui révèlent elles aussi une lecture intensive. Florence de Lussy, autrice de Simone Weil  dans la collection « Que sais-je ? » (PUF), décrit ces manuscrits comme le « tissu d’une pensée qui inventorie ses richesses et met en place ses repères avant de construire son architecture ».

Dans ces cahiers, Simone Weil livre aussi ses propres réflexions, entre méditations sinueuses et démonstrations éclatantes. On y rencontre aussi quelques rares confidences sur les difficultés d’ordre personnel : la douleur, la solitude, la tragédie de la guerre. Autant de thèmes qui résonnent avec son parcours spirituel. Publiés en plusieurs vagues, les cahiers de Simone Weil permettent d’assister à la puissante marche en avant de la pensée d’une grande philosophe, au bouillonnement intellectuel d’un esprit hors pair.

Simone Weil, cahiers manuscrits : 1. Cahier 7, plat supérieur, NAF 28437 ; 2. Cahier autographe inédit (Cahier 1) - BnF, Manuscrits

 

Clothilde de Bayser - BnF
                              

En 2023, Simone Weil est mise à l’honneur dans la programmation de la BnF, avec une lecture de son texte La personne et le Sacré par Clothilde de Bayser de la Comédie-Française, le lundi 6 février.

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