Kara Lennon Casanova
Directrice Déléguée au mécénat et directrice du Fonds de dotation de la BnF
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C’est en 1907 que Marcel Proust (1871-1922) commence l’écriture de son chef-d’œuvre À la recherche du temps perdu, dont les sept tomes sont publiés entre 1913 et 1927 :
Cette œuvre romanesque écrite à la première personne est une réflexion sur la littérature, sur la mémoire et sur le temps. Par son influence sur les œuvres et les recherches littéraires à venir, À la recherche du temps perdu se classe parmi les plus grands œuvres de la littérature universelle.
En mars 1913, après avoir essuyé le refus de trois éditeurs, Proust passe un contrat à compte d’auteur avec Bernard Grasset pour la publication de son roman. Il reçoit 95 épreuves en placard du livre, alors intitulé Les intermittences du cœur, Le Temps perdu et divisé initialement en trois parties. Jugeant le texte trop long pour être publié en un seul volume, Grasset l’oblige à abréger son texte. Proust doit supprimer les 25 derniers placards. L’étape des placards est décisive dans la genèse de l’œuvre : Proust remanie son texte, fixe les noms, corrige, améliore, hésite encore sur le fameux incipit. C’est à partir de cette nouvelle version que sera établie l’édition originale de Du côté de chez Swann, achevée d’imprimer le 8 novembre 1913.
Deux des exemplaires de l’édition originale de Du côté de chez Swann sont restés particulièrement célèbres en raison de l’éclairage unique qu’ils portent sur la création d’À la recherche du temps perdu.
L’un est celui sur lequel Proust a ajouté en 1918 une lettre-dédicace au romancier Jacques de Lacretelle, où il décrivait un certain nombre de modèles qui avaient servi à l’invention de motifs tels que l’église de Combray et la sonate de Vinteuil. Cet exemplaire, mentionné au répertoire des biens spoliés en France pendant la Seconde Guerre mondiale, a malheureusement disparu depuis cette époque et n’a jamais été retrouvé.
L’autre exemplaire, celui que la BnF souhaite acquérir, a été lui aussi enrichi d’une lettre-dédicace, longue de huit pages. Plus ancienne, puisqu’elle a été rédigée dès novembre 1915, elle est adressée à Marie Scheikévitch. Fille d’un avocat russe et figure du Paris littéraire et mondain de la Belle Époque, Marie Scheikévitch s’était liée à Proust d’une étroite amitié depuis 1911 et a joué un rôle important dans la première réception de Du côté de chez Swann en mettant ses relations influentes au service du romancier. Elle a ainsi permis que la presse se fasse l’écho de la publication du premier volume d’À la recherche du temps perdu, dans lequel elle avait immédiatement reconnu un chef-d’œuvre. Proust lui rendra d’ailleurs hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite dame brune, extrêmement jolie » habituée du salon de la duchesse de Guermantes et dévouée à la cause de la littérature, « amie successivement — nullement amante, elle était de mœurs fort pures — et exclusivement de chaque grand écrivain qui lui donnait tous ses manuscrits, écrivait des livres pour elle. »
L’exemplaire de Du côté de chez Swann qui a appartenu à Marie Scheikévitch appartient au petit nombre des exemplaires de tête de l’édition : il est l’un des douze qui ont été imprimés sur papier hollande. Mais c’est plus encore par l’intérêt majeur de sa dédicace qu’il se distingue : Proust y dévoile pour la première fois ce que vont devenir plusieurs des personnages de Du côté de chez Swann. En puisant et tressant ensemble des fragments choisis parmi les brouillons contenus dans ses carnets (eux-mêmes conservés à la BnF), il met en forme et résume, pour son amie et elle seule, ce qui, lui dit-il, « n’est actuellement connu de personne » et qu’il lui demande expressément « de ne pas montrer tant que l’ouvrage n’aura pas paru » : l’ensemble du cycle d’Albertine, appelé à former la matière de La Prisonnière et d’Albertine disparue.
Ainsi cette « dédicace capitale », comme l’écrit Jean-Yves Tadié dans sa biographie de Marcel Proust, occupe une place éminente parmi les documents qui témoignent de la genèse d’À la recherche du temps perdu et du travail de construction de sa grandiose architecture.
Pour consulter le fac-similé et la transcription de la dédicace, cliquez sur ce lien
Marcel Proust avait conservé l’ensemble de ses manuscrits. A sa mort, en 1922, son frère, le docteur Robert Proust, hérita de ce précieux dépôt et assura la publication posthume des trois derniers volumes d’À la recherche du temps perdu. Lorsqu’il disparut à son tour, en 1935, sa fille unique, Suzy Mante Proust prit la relève tout en favorisant le travail des chercheurs. Dans un souci d’assurer la conservation des documents et de leur donner une plus grande diffusion, elle prit la décision de les céder à un grand établissement. C’est ainsi que le fonds Proust entra à la Bibliothèque Nationale en 1962.
Il était alors constitué par la quasi-totalité des manuscrits de l’écrivain, depuis ses papiers scolaires, ses œuvres de jeunesse (Les Plaisirs et les Jours, Jean Santeuil), ses articles critiques et ses traductions des œuvres de Ruskin jusqu’aux manuscrits d’À la recherche du temps perdu. Trois nouvelles acquisitions, en 1977, en 1984 et en 2013, ont permis de compléter ce fonds prestigieux.
Pour l’écriture de la Recherche, le fonds des manuscrits se décompose de la manière suivante :
À cet ensemble s’ajoute un certain nombre d’exemplaires imprimés particuliers, eux-mêmes remarquables par l’information qu’ils apportent sur l’élaboration du roman ou sur l’histoire de son processus éditorial : tels des exemplaires de l’édition de luxe d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs enrichis de planches d’épreuves corrigées ou, acquis en 2008, l’exemplaire du Côté de Guermantes dédicacé à la comtesse de Chevigné, l’un des modèles du personnage de la duchesse de Guermantes.
Témoins irremplaçables de la genèse de À la recherche du temps perdu, ces documents sont exceptionnels par la richesse et par la qualité des informations qu’ils renferment sur le processus de la création littéraire chez un des plus grands écrivains du XXe siècle.
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