Trésors indiens
C’est à l’abbé Jean-Paul Bignon (1662-1743), bibliothécaire de Louis XV, que l’on doit l’entrée dans les fonds de la Bibliothèque royale des premiers manuscrits qui constituent le cœur des collections indiennes conservées aujourd’hui à la BnF. Parmi son réseau de correspondants jésuites à l’étranger, l’abbé sollicite notamment Jean-François Pons (1698-1752), alors en poste à Chandernagor, au Bengale. Ce fin lettré, qui compte parmi les précurseurs des études sanskrites en Europe, lui fait parvenir dans les années 1730 près de 200 manuscrits touchant à tous les domaines des arts et du savoir, depuis la philosophie et les sciences jusqu’à la littérature et les religions.
Le rôle des voyageurs et des savants
Cette collection s’enrichit progressivement aux XVIIIe et XIXe siècles, grâce à l’action conjuguée des voyageurs et des savants. Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron (1731-1805), qui parcourt l’Inde dans les années 1750 et 1760 pour y étudier les textes zoroastriens, en revient avec des manuscrits. Dans les décennies qui suivent, le colonel Jean-Baptiste-Joseph Gentil (1726-1799), engagé dans la Compagnie française des Indes orientales, ou plus tard Édouard Ariel (1818-1854), administrateur à Pondichéry, étoffent à leur tour les fonds indiens, le premier avec des albums de peinture moghole, le second avec des manuscrits tamouls. Du côté des savants, le grand indianiste Eugène Burnouf (1801-1852) fait acheter des manuscrits et des textes imprimés, témoins des débuts de l’imprimerie indienne alors en pleine phase de développement, tandis que Charles d’Ochoa (1816-1844), chargé en 1843 par le ministère de l’Instruction publique d’une mission en Inde, rapporte des manuscrits et des textes lithographiés qui seront confiés à la Bibliothèque par le ministre.
Les fonds Smith-Lesouëf et Romain Rolland
Au XXe siècle, la présence de l’Inde dans les collections de la Bibliothèque est encore renforcée par l’entrée de deux fonds majeurs, la collection Smith-Lesouëf, qui comprend des recueils de peinture moghole et des ragamala (albums de peintures qui illustrent divers modes musicaux indiens), et le fonds Romain Rolland. Ce dernier contient plusieurs centaines de documents témoignant de la relation privilégiée que l’auteur entretient sa vie durant avec les penseurs, hommes politiques et poètes indiens – parmi lesquels Rabindranath Tagore, Swami Vivekananda ou encore Gandhi et Nehru.
Des trésors accessibles en ligne dans Gallica
Aujourd’hui, les collections indiennes de la Bibliothèque comprennent 3 000 manuscrits (pour deux tiers en sanskrit et pour un tiers en langues indo-aryennes ou dravidiennes), près de 2 500 peintures rassemblées dans une cinquantaine d’albums, ainsi que 10 000 ouvrages en langues indiennes, fruits d’une politique d’acquisition de textes littéraires menée depuis une quarantaine d’années. À ces ensembles conservés principalement aux départements des Manuscrits ou des Estampes ainsi qu’au département Littérature et art s’ajoutent les archives sonores du célèbre ethnomusicologue Deben Bhattacharya (1921-2001) confiées au département de l’Audiovisuel, ou encore les photographies du fonds de la Société de géographie en dépôt à la BnF. Ces dernières, tout comme la moitié des manuscrits indiens de la BnF et un grand nombre des albums de peintures et miniatures, ont été numérisées et sont consultables en ligne sur Gallica – offrant la possibilité d’infinies promenades virtuelles dans l’histoire et l’art indiens.
Mélanie Leroy-Terquem
Article paru dans Chroniques n° 91, avril-juillet 2021