Un conservateur, un document – Les bat books
Parmi les quelque 40 000 manuscrits européens médiévaux conservés à la BnF, que trouve-t-on ? Une immense majorité de codex, le format de livre le plus répandu depuis le début du Moyen Âge, constitué de feuilles de parchemin ou de papier pliées en deux, rassemblées en cahiers et cousues le long de ce pli central. Quelques rouleaux de papyrus, parchemin ou papier, communs dans l’Antiquité. Mais aussi trois exemplaires d’un type de manuscrit beaucoup plus rare (seulement une soixantaine connus dans le monde) appelé bat book – littéralement « livre chauve-souris ».
Sous les ailes des bat books
Cette dénomination fait écho à l’apparence curieuse de ces ouvrages. L’historien néerlandais Johann Gumbert, qui a forgé l’appellation, l’expliquait ainsi : « Au repos, ils pendent la tête en bas, tout repliés, mais, au moment d’entrer en action, ils dressent leur tête et ouvrent larges leurs ailes. » En France, au Moyen Âge, on les appelait « livres en forme de cliquette de ladre », par analogie avec l’instrument de bois que les lépreux agitaient pour signaler leur présence et inviter (déjà) à la distanciation. Car les feuilles de parchemin des bat books ne sont pas cousues le long d’un pli, mais sur un petit onglet marginal qui leur donne cette forme caractéristique. Pliées plusieurs fois pour obtenir un livre de petit format, ces feuilles peuvent facilement être dépliées pour parcourir d’un coup d’œil un long texte, une image ou un tableau difficiles à scinder sur plusieurs pages.
Un vecteur privilégié pour les calendriers
Cette technique du livre à plis est probablement apparue au XIIIe siècle, en réponse au besoin de livres légers et transportables pour partir en voyage. Si elle a rapidement été concurrencée par d’autres procédés de miniaturisation comme les bibles de poche – manuscrits de très petit format constitués de feuilles de parchemin très fin et calligraphiés d’une écriture de taille réduite –, elle a tout de même perduré aux XIVe et XVe siècles pour diffuser un type d’écrit particulier – les calendriers.
À cette époque, les élites font face au dérèglement du calendrier julien, en usage depuis César. Non seulement l’année est trop courte, provoquant le décalage des saisons, mais le système de concordance avec le calendrier lunaire, le fameux nombre d’or, recule lui aussi d’un jour tous les trois cents ans, avec pour conséquence le déphasage visible entre la pleine lune observée dans le ciel et le calendrier. Cela n’est pas pris à la légère par les autorités civiles, car un grand nombre d’échéances civiles comme religieuses sont adossées à la date de Pâques, premier dimanche après la pleine lune de printemps, et ainsi sujettes à caution. L’une des réponses – avant la réforme grégorienne du calendrier qui n’intervient qu’au XVIe siècle – est la diffusion de calendriers « améliorés » donnant la date et l’heure astronomiques des nouvelles lunes et des pleines lunes, le jour de la semaine et les principales fêtes liturgiques pour un cycle complet de 76 ans. Ces calendriers sont bien entendu reproduits dans des livres reliés classiques, mais le format bat book, plus facile à transporter, permet alors d’inclure de grands tableaux mensuels. Ainsi sont-ils mis à profit par les religieux itinérants, les astrologues et les médecins dont l’art dépend beaucoup des phases de la lune, avant de disparaître au XVIe siècle, sans doute sous la concurrence de l’imprimé.
Alexandre Tur
Département des Manuscrits
Article paru dans Chroniques n° 90, janvier-mars 2021