Les manuscrits du général de Gaulle (NAF 28590)

Il y a cinquante ans, le 9 novembre 1970, Charles de Gaulle s’éteignait à Colombey-les-deux-Églises, un an et demi après son départ du pouvoir. 

« La France est veuve » déclara dès le lendemain son successeur Georges Pompidou, appelant « en cette heure de deuil pour la patrie » l’ensemble de la nation à s’incliner devant la mémoire de celui qui avait « sauvé l’honneur » en 1940, conduit le pays « à la libération et à la victoire », épargné à la France « la guerre civile » en 1958 et donné à celle-ci « ses institutions, son indépendance et sa place dans le monde ».

La Bibliothèque nationale de France compte parmi ses collections les originaux autographes des œuvres personnelles de l’homme qui joua un rôle déterminant dans l’histoire nationale de 1940 à 1969. Elle souhaite aujourd’hui rendre hommage à sa vision de l’État et à son « idée de la France » à travers une lecture de ses mémoires et de ses discours par Bruno Raffaelli, sociétaire honoraire de la Comédie-Française, le lundi 9 novembre 2020.

Archives croisées

Depuis une soixantaine d’années, le département des Manuscrits constitue, avec les Archives nationales, l’un des principaux réceptacles du patrimoine écrit gaullien. Dès 1956 en effet, la Bibliothèque nationale reçut en don de Charles de Gaulle les manuscrits de la première partie de ses Mémoires de guerre auxquels il travaillait depuis son retrait de la vie politique en janvier 1946. Selon le plan qu’il avait arrêté, De Gaulle s’était parallèlement dessaisi au profit des Archives nationales depuis 1953 des volumineux dossiers que ses collaborateurs et lui avaient produits à Londres, Alger, puis Paris. De ces papiers, à la mise en ordre desquels veilla Alice Garrigoux (1917-2016), conservateur de la Bibliothèque nationale détachée en 1945-1946 au sein de son cabinet civil, De Gaulle s’était gardé la primeur de l’exploitation ; ils constituèrent l’une des principales sources des trois tomes de ses mémoires.
De manière analogue, il puisa, une fois parvenu à l’Élysée, dans le fonds des archives de sa présidence organisées de 1961 à 1969 par le même conservateur de la Bibliothèque nationale, la matière de ses Mémoires d’espoir, interrompus par son décès survenu le 9 novembre 1970. Dans les années qui suivirent, son fils, l’amiral Philippe de Gaulle, remit à la Bibliothèque les manuscrits et dactylographies de cette œuvre inachevée, ainsi que les brouillons des écrits de son père antérieurs au 18 juin 1940 et des discours qu’il avait prononcés durant la période 1940-1946. Les papiers emportés de l’Élysée par le général en 1969 qui avaient « le caractère de documents d’État » furent, selon son vœu, progressivement versés aux Archives nationales, tout comme les pièces restées à la présidence de la République.
Ainsi se trouvèrent constitués, quelques années seulement après la mort du général de Gaulle, deux riches ensembles archivistiques fortement marqués par sa personnalité et son sens de l’histoire et intimement liés par son œuvre de mémorialiste : les archives de fonctions de l’homme d’État des années 1940-1946 et 1959-1969 d’une part, conservées dans les sous-séries 3 AG et 5 AG 1 des Archives nationales ; le fonds personnel de l’homme de lettres, offert au département des Manuscrits, où il trouva une place parmi les Nouvelles acquisitions françaises sous la cote NAF 28 590.
Ces deux fonds, progressivement ouverts à la consultation en vertu des accords conclus par l’amiral de Gaulle avec la Bibliothèque nationale et les Archives de France, témoignent de l’implication du général lui-même dans le processus d’archivage et de conservation des documents-preuves de son action. Ces monuments de papier sur lesquels repose la geste de Charles de Gaulle ont été et continuent d’être interrogés par les chercheurs. Ils permettent de retracer de l’intérieur la fabrique du verbe gaullien, finement ciselé dans la recherche de l’idéal classique, et les méandres du travail de mise en récit de soi et de son œuvre politique, depuis les pièces d’archives originales produites durant la guerre ou au sommet de l’État jusqu’aux épreuves corrigées des mémoires.

Composition du fonds

Le fonds NAF 28 590 du département des Manuscrits de la BnF représente de nos jours une masse de quelque 2,50 mètres linéaires de documents édités mais aussi inédits. Il renferme notamment : 
  • Les notes préparatoires et les différents états des Mémoires de guerre et des Mémoires d’espoir, pour lesquels on dénombre en général pas moins de cinq ou six versions successives depuis les premiers jets extrêmement raturés, à l’écriture nerveuse et parfois presque illisible, jusqu’au texte final prêt pour la publication.
  • Les discours et messages de la main du général de Gaulle prononcés entre le 27 août 1940 et le 28 décembre 1946 (la série n’est pas complète).
  • Les manuscrits des grands essais d’histoire ou de théorie militaire du capitaine, lieutenant-colonel, puis colonel Charles de Gaulle, antérieurs à la débâcle de 1940, tels que Le Fil de l’épée (1932), Vers l’armée de métier (1934) ou La France et son armée (1938).
  • Un ensemble d’articles, de textes de conférences ou de cours pour certains inédits donnés dans des institutions d’enseignement militaire au cours de l’entre-deux-guerres, qui laissent voir un De Gaulle pédagogue.
  • Le mémorandum « de Cassandre », pour reprendre le mot de Jean Lacouture, que le colonel de Gaulle adressa le 26 janvier 1940 aux généraux Gamelin, Weygand et Georges et au président du Conseil Édouard Daladier, ainsi qu’à Paul Reynaud, pour les exhorter à revoir, en pleine drôle de guerre, la stratégie purement défensive du haut commandement militaire français au profit d’une attitude offensive reposant sur l’utilisation des blindés qui aurait peut-être évité à l’armée française sa défaite du printemps suivant.
Parmi les documents les plus inattendus, on peut citer les manuscrits du projet avorté d’une Histoire du soldat à travers les âges, que le maréchal Pétain avait commandée à Charles de Gaulle au cours des années 1920 et que celui-ci reprit, bien des années après la brouille survenue au cours de cette entreprise entre les deux hommes, pour rédiger La France et son armée. Ironie de l’histoire, on découvre réunies sur certains feuillets de cet ouvrage que Philippe Pétain aurait dû signer l’écriture du futur chef de l’« État français » et celle de Charles de Gaulle, le premier corrigeant la prose du second. Signalons également les nombreux articles manuscrits sur l’actualité politique et militaire de l’Europe que le capitaine de Gaulle prisonnier en Allemagne au camp de Wülzburg rédigeait entre le 3 juin et le 17 novembre 1918 à partir des journaux allemands. Ces bulletins, placardés à destination de ses camarades de détention, portent encore la marque des punaises à l’aide desquelles le jeune De Gaulle les affichait.

Documents numérisés

Les numérisations des discours de 1940-1946 et de l’essai Le Fil de l’épée sont accessibles sur le site Gallica intra muros, en salle de lecture du département des Manuscrits. Les autres documents du fonds NAF 28 590 peuvent être communiqués aux chercheurs qui en font la demande, à l’exception des Mémoires d’Espoir, dont la consultation est réservée jusqu’en 2021.
  • Les manuscrits consultables sur Gallica intra muros Discours et messages (1940-1946) I
    Discours et messages (1940-1946) II
    Discours et messages (1940-1946) III
    Le Fil de l’épée (1932)
  • Aux Archives nationales
    Sous-série AG/3(1) : Archives du général de Gaulle, chef de la France libre et de la France combattante
    Sous-série AG/5(1) : Archives de Charles de Gaulle, président de la République (1959-1969)
La fondation Charles de Gaulle, sise 5, rue de Solférino, dans le 7e arrondissement de Paris, conserve peu de documents émanant directement du général de Gaulle. Elle est cependant riche de plusieurs collections de documents le concernant, ainsi que de fonds privés de compagnons et collaborateurs du général. Elle détient également les archives organiques du Rassemblement du Peuple Français (RPF), des Républicains sociaux et de l’Union des jeunes pour le progrès (UJP).

le site de la fondation Charles de Gaulle

En savoir plus sur le Département des manuscrits

Sur Gallica peuvent également être consultés plusieurs documents en lien avec l’Appel du 18 juin 1940 et la Résistance française, telle que cette affiche conservée à la BNU de Strasbourg ; des tracts de la Résistance française ; les Bulletins des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) ; ou encore le numéro 20 de la collection « Textes et documents »  paru en 1964, qui dresse un tableau précis et documenté de la Résistance.