Comment s’écrivent les livres

« En lisant, en écrivant » : sous ce titre en forme d’hommage à Julien Gracq, les masterclasses littéraires organisées depuis 2016 par la BnF, France Culture et le Centre national du livre invitent auteurs et autrices à évoquer en public leur pratique de l’écriture.
 

À la question « Comment naissent les livres ? » Geneviève Brisac répondait en 2017 : « Ça fonctionne un peu comme un tricot. » Quelques années plus tard, Leïla Slimani expliquait partir d’une idée, avant même d’avoir une histoire ou des personnages. Interrogé à son tour, Pierre Michon laissa s’installer le silence puis glissa dans un souffle : « Je ne sais pas comment ça vient. » 

Paroles en cascades et phrases en suspens

Les entretiens des masterclasses « En lisant, en écrivant », menés par des producteurs de France Culture, suivent une trame commune mais ne se ressemblent jamais, tant ils donnent à entendre les multiples voix de la création littéraire contemporaine. La diversité des timbres et des rythmes révèle celle des personnalités. La prolixité d’Emmanuel Guibert, que son interlocuteur peine à interrompre, la faconde de Miguel Bonnefoy ou la volubilité d’Amélie Nothomb contrastent avec le tempo plus lent de Brigitte Giraud et les hésitations amusées de Jérôme Ferrari. Certains jouent de la présence du public, comme Marie-Aude Murail, qui scrute la salle pour y dénicher les enfants présents. D’autres le font rire, à l’image de Jul’ Maroh mimant l’appel du chamane – illustration du caractère mystique que revêt pour lui l’inspiration créatrice. Toutes et tous, néanmoins, se prêtent au jeu d’une interview qui les conduit à parler davantage de la façon dont les livres s’écrivent que des livres eux-mêmes.

Masterclasse « En lisant, en écrivant » du 21 mars 2023 : Stefan Hertmans s’entretient avec Cécile Bidault - Photo Mériam Yousfi / BnF

 

Le métier d’écrivain

Des premières tentatives d’écriture au lien qui se crée avec l’éditeur, de l’angoisse de la page blanche au choix du titre, toutes les étapes constitutives du métier d’écrivain sont abordées. Les souvenirs d’enfance racontent le précoce désir d’écrire (« Je dictais des textes à mes parents dans une langue qui n’existait pas, raconte Lola Lafon, puis je leur demandais de me les relire pour vérifier ! ») ou la naissance d’un goût littéraire (« J’adorais les histoires de serial killers », confie la reine du polar Camilla Läckberg). Les rituels d’écriture, le rapport à la langue, aux personnages, aux lecteurs ou encore aux prix littéraires varient d’un entretien à l’autre et révèlent parfois des rapprochements inattendus. C’est le cas d’une particularité facétieuse qu’on trouve chez Amélie Nothomb et Pierre Michon. Tous deux sèment dans chacun de leurs livres des cailloux en forme de clins d’œil – un mot pour elle (« On sait qu’un manuscrit est de moi si le mot pneu y figure comme signature intérieure ») et, pour lui, « une ou deux phrases de Rimbaud non guillemettées ».
D’abord centrées sur la littérature française, les quelque quarante séances du cycle « En lisant, en écrivant », disponibles en podcast sur le site de France Culture et en vidéo sur bnf.fr, se sont au fil des saisons élargies à la littérature anglaise (Ian McEwan), espagnole (Javier Cercas et Rosa Montero), italienne (Erri De Luca), mais aussi à la bande dessinée, avec Pénélope Bagieu, Catherine Meurisse ou encore Catel. Les prochaines sessions accueillent sur la scène du petit auditorium de la BnF Nicolas Mathieu le 23 avril, Claire Marin le 21 mai et Serge Joncour le 18 juin

 

 

Mélanie Leroy-Terquem

Article paru dans Chroniques n°100, janvier-mars 2024